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À l’époque moderne, on devait présenter, surtout en temps de contagion, une
patente ou un bulletin de santé avant de franchir la porte d’une ville ou d’entrer
dans un port. Nul ne pouvait venir de nulle part : il fallait présenter des justifica-
tifs pour prouver d’où l’on venait, et déclarer la raison et la destination du déplace-
ment. La présentation devant un aubergiste ou logeur de chambre garnie constituait
un moyen de contrôle, car les autorités urbaines exigeaient, dans les villes fran-
çaises et d’autres pays européens, que l’hôtelier déclarât les personnes qu’il logeait.
En fixant ces procédures, par exemple lors des réformes de la police en France au
xviii
e
siècle, les autorités n’aspiraient pas seulement à renforcer le quadrillage des
villes, elles nourrissaient une utopie policière : l’établissement de la sécurité et de
l’ordre public devait en effet promouvoir le bonheur des sujets. En réalité, cette
utopie focalisait de manière réaliste, leur contrôle sur le monde des logeurs pour
s’assurer que ceux-ci observaient fidèlement les normes établies par les magistrats
urbains. L’application concrète des ordres dépendait toutefois de la fiabilité de ces
intermédiaires, de leur œil expérimenté, de leur capacité de juger la plausibilité des
déclarations de leurs hôtes ainsi que l’authenticité des documents présentés –
et
de leur volonté de mettre leur expertise sociale au service des autorités politiques.
Les contrôles impliquaient la création et l’entretien de vastes réseaux de
communication. Un exemple dans la longue durée est la protection contre les
« pestes », contagions et épidémies de l’Antiquité à l’époque moderne : depuis
le bas Moyen Âge, dans l’espace méditerranéen comme ailleurs en Europe, on
délivra des « patentes de santé » et « certificats de quarantaine », on créa des
« bureaux de santé » et, hors des villes et ports, on installa des lazarets et des entre-
pôts de quarantaine. Tout cela nécessitait une grande quantité d’informations,
qui devaient permettre d’identifier les personnes (passagers, équipages) et les
itinéraires et étapes des navires et cargaisons. Vu la fréquence de « pestes » en
Méditerranée moderne, toutefois, l’application des réglementations à la lettre
aurait fait cesser la navigation dans la mer Intérieure.
La mobilité négociée
À l’échelle méditerranéenne, les relations entre les puissances (accords de type
diplomatique, mais aussi contrats passés entre une puissance et des particuliers)
sont également un observatoire idéal pour comprendre les logiques et procédures
d’identification. Transferts de résidence, protection judiciaire, privilèges commer-
ciaux, échanges d’ambassadeurs, rachats des captifs ou encore envoi de mercenaires,
les formes de la mobilité négociée éclairent la nature de ces relations « internatio-
nales », qui ne furent pas seulement de prédation ou de domination, mais aussi
d’échanges et de réciprocité. Ils éclairent également, pour chaque époque, le degré