
Identification
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d’unité des pratiques et de la pensée juridique entre les différentes sociétés (moda-
lités de contacts, conception des traités, protection des personnes chargées de les
établir, notion même d’obligation). Les cités grecques, par exemple, ont signé entre
elles des accords pour assurer la protection de leurs citoyens dans d’autres cités
ou des étrangers sur leur propre territoire, comme l’attestent les très nombreux
décrets de proxénie et d’asylie transmis par les inscriptions. Les sources évoquent
en effet la condition précaire de celui qui entrait pour la première fois dans une
cité sans bénéficier de protection juridique : sa personne ou ses biens pouvaient
être saisis sans recours. Le « droit de saisie », dont le statut de l’aubain en France
moderne témoigne également, n’a cessé d’être en usage qu’au xvii
e
siècle.
Parmi ces formes qui participent à la création d’un ordre « international », les
réglementations commerciales (traités de paix avec clauses économiques, accords
commerciaux bilatéraux, visant à établir sécurité et limitation des échanges,
allègement des taxes ou conventions unilatérales) constituent l’aspect le plus
important, d’autant que les sollicitations économiques (commerce, mais aussi
marché du travail) sont une des causes principales de la mobilité. Mais, comme
se le demandait Pierre Renouvin, dans quel sens ces sollicitations exercent-elles
leur influence ? Quel est le lien entre contrôle des marchandises et contrôle des
hommes ?
Dès le vi
e
siècle avant notre ère, les cités non grecques d’Occident, Carthage
et Rome, à l’instar des cités grecques, étaient capables de contrôler par des traités
l’accès des marchands étrangers à leur territoire et de procurer à leurs ressortis-
sants respectifs une garantie publique sur leurs biens et leurs transactions. Dans
certains cas, les marchands étrangers furent soumis à des règles très strictes, défi-
nies, dans le monde romain, par un « droit de commerce ou
ius commercii
» ou
par un « droit des hôtes » au Moyen Âge : ils n’étaient autorisés à traiter qu’en
un seul lieu, avec les marchands locaux, comme ce fut le cas à Nisibe, après le
traité signé entre Rome et la Perse par Dioclétien en 298. Des fonctionnaires
spéciaux étaient affectés à leur contrôle.
À l’époque moderne, les Capitulations
(‘ahdnâme)
accordées aux puissances
européennes par le sultan ottoman, ou les traités conclus avec les régences otto-
manes au Maghreb ainsi qu’avec le Maroc ont aussi accru la production de
papiers d’identification traditionnels (tel l’
amân
ou le sauf-conduit nécessaire
pour circuler librement dans les pays du sultan ottoman ou du Roi-Soleil) et
nouveaux. Ainsi, pour le commerce avec le Maghreb, le « passeport turc » établi
par les autorités danoises ou suédoises, ou le « passavent » produit par les consuls
français en Méditerranée, certifiaient l’origine du navire. Composé de deux par-
ties dont l’une était envoyée dans le port maghrébin de destination, le « passe-
port turc » permettait ainsi, en cas de capture par des corsaires « barbaresques »,
de prouver leur origine et d’obtenir la libération du bâtiment et des hommes.