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accusé d’avoir usurpé la citoyenneté romaine, Cicéron défend la supériorité du
témoignage sur les documents écrits, ici les registres du cens disparus dans un
incendie, et s’indigne que son adversaire adopte l’attitude inverse : « […] c’est
une plaisanterie […] de rechercher des preuves que nous ne pouvons avoir, de
rester muet sur l’attestation des personnes, et de réclamer l’attestation des écrits,
enfin […] de repousser des éléments qui ne peuvent en aucune façon être falsi-
fiés et de réclamer des registres dont pourtant tu déclares qu’ils sont d’ordinaire
altérés. » (
Pro Archia
, 8‑9.)
Cicéron oppose d’un côté des registres qui sont susceptibles de falsification,
de l’autre les témoignages d’hommes dignes de foi, qui, ajoute-t‑il peu après, ont
été aussi de véritables acteurs dans cette affaire. L’argument a le mérite de poser
la question fondamentale des moyens de la preuve dans les domaines de l’identi
fication et du passage de la
fides
des témoins à celle du document. On pourrait
évoquer comme un moment crucial les recherches de noblesse au xvii
e
siècle en
France où les témoignages d’amis attestant le vivre noblement et le passé noble
d’une famille sont joints au dossier des preuves de noblesse. Pour comprendre
cette histoire dans la longue durée, il faudrait assurément distinguer les docu-
ments écrits selon leur nature (les actes émanant de l’autorité publique, ou les
documents fondés sur la
fides
du déclarant et rédigés à la première personne),
leur support (tablette, papyrus, parchemin, objets), les moyens employés pour
les valider (témoins ou sceaux, etc.). L’histoire des procédés d’identification
croise ainsi celle des techniques d’écriture et des modes d’authentification, et
on voit bien ce qu’elles reflètent : les exigences de précision de la part des auto-
rités dans chaque société
,
et les limites acceptées, c’est-à-dire
les risques qu’elles
prennent à la falsification.
Les marqueurs d’identité
Dans les sociétés précontemporaines, les marqueurs d’identité étaient multiples
et se cumulaient, aucun n’étant considéré comme suffisamment fiable ni valable
pour tous. On trouve dans l’histoire de la Méditerranée, de l’Antiquité à l’époque
moderne, aussi bien les signes physiques particuliers (cicatrice, tatouage), la signa-
ture, voire la « main », c’est-à-dire l’écriture « formatée » et identifiable d’un mar-
chand, la déclaration orale ou écrite (auto-identification simple ou sous serment),
les insignes de distinction (vêtement, chaussure, anneau), les objets figurés (sceaux,
symbola
, tessères d’hospitalité). Il existait aussi toutes sortes de documents écrits
qui permettaient de prouver un privilège (déclaration de naissance ou conces-
sion d’immunité), de circuler (laissez-passer, attestations de congés militaires,
attestations d’immunité, etc.) ou de résider quelque part (certificats de résidence,