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Identification

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pouvaient servir de preuve en cas de contestation, avec le risque toujours pré-

sent d’une inscription frauduleuse. Les villes du haut Moyen Âge ont attaché

une grande importance à la délimitation de leurs terroirs, tout en maintenant

des espaces juridiques particuliers et des rapports d’appartenance multiples qui

se traduisent au bas Moyen Âge et à l’époque moderne dans les distinctions

entre bourgeois de plein droit, manants jouissant d’une protection ou simples

habitants et résidents. Dans les villes piémontaises de l’époque moderne, tous

ceux qui avaient quelque difficulté à être inscrits de plein titre dans le rang des

citoyens, qu’ils fussent migrants, marchands, pauvres ou femmes, étaient enre-

gistrés dans la catégorie très hétérogène des « misérables ».

La logique fiscale a plus fortement encore contribué au développement des

procédures d’identification. Avant l’intégration des Italiens dans la citoyenneté

romaine au i

er

siècle avant notre ère, les cités italiennes devaient établir des listes

précises

(formula togatorum)

contenant le décompte des soldats et des sommes

que les cités devaient envoyer chaque année à Rome. Dans les provinces, sous

l’empire, les recensements à intervalles réguliers (tous les quatorze ans en Égypte,

par exemple) permettaient de fixer le tribut à payer par les provinciaux. Ils don-

naient lieu à la production de listes, de déclarations écrites comportant une foule

de renseignements (nombre de personnes vivant sous un toit, état de la for-

tune, localisation précise, etc.) et de reçus. À cette époque, d’autres documents

vinrent compléter ces informations : déclarations de naissance, de décès, attesta-

tions d’affranchissement, diplômes militaires témoignant de la concession de la

citoyenneté romaine, etc. ; mais aucun document n’était obligatoire, ni n’avait

en soi

une valeur probatoire. Dans l’Antiquité tardive, les besoins de l’adminis-

tration fiscale furent tels que les documents se multiplièrent et les contrôles se

trouvèrent renforcés : il fallait que chacun fût identifié et localisé (par son lieu

d’origine et son domicile notamment) pour prendre part aux charges fiscales.

C’est à cette époque que l’« inutilité » sociale, qui était jusque-là un jugement

moral, commença à constituer un délit.

Les recensements et cadastres des époques médiévale et moderne s’inscrivent

dans cet effort de « quadriller » les populations pour identifier des ressources

matérielles. Le souci de contrôle des personnes et le renforcement de l’autorité

paternelle assurant la transmission des biens deviennent manifestes à l’aube des

Temps modernes avec les registres de baptême et l’enregistrement des mariages.

Il s’étend à certains groupes de la population censés être potentiellement dan-

gereux comme les soldats en congé après les guerres, les hommes de mer ou les

compagnons effectuant leur compagnonnage – c’est-à-dire des groupes en mou-

vement qu’on cherche à « fixer » par des procédures et des documents.