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Échanges commerciaux

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demande très fragile, paysans et propriétaires plantent et déplantent, défrichent

les pâtures ou les restituent aux moutons, attaquent les bois ou laissent les champs

cultivés redevenir sauvages, font remonter l’agriculture sur les flancs des mon-

tagnes ou la laissent se réfugier dans le fond des vallées.

À côté des maisons de marchands situées dans les grands ports, une foule de

sujets gère les échanges commerciaux. Il faut les chercher dans des lieux parfois

dépourvus d’équipements portuaires, commerciaux, et quelquefois même sans

aucune habitation, dans des « ports ruraux » éphémères, qui s’activent dans une

phase et disparaissent dans la suivante. Là, une multitude de pratiques et d’ac-

teurs, d’institutions et de cultures marchandes sont à l’œuvre : des plus formali-

sés aux plus flexibles, informels, interstitiels. Des circuits commerciaux, s’étant

structurés à travers des normes, des identités sociales et des rapports de pouvoir

bien définis, se croisent et se superposent à d’autres. Circuits où le rôle des mar-

chands se confond avec celui des marins, où les solidarités parentales et locales

deviennent déterminantes, où les procédures sont souvent inventées au cours

même de l’échange, et où les ambiguïtés des rapports contractuels sont alimen-

tées et utilisées pour contourner des rapports de force défavorables ou réduire les

risques découlant de la fiabilité incertaine des interlocuteurs. On s’adresse à ces

derniers en utilisant la

lingua franca

et un savoir, l’

ars mercatoria

, qui incluent,

à côté de connaissances en matière technique et de communication, des compé­

tences situées à cheval entre la conquête de profit d’intermédiation et l’escro-

querie pure et simple.

C’est par cette voie qu’une multitude d’acteurs de petite envergure et aux vertus

incertaines sortent des « mouvements browniens » du commerce et entrent dans

les grands circuits de l’échange. De petits, voire parfois de minuscules villages

côtiers – à la fin de l’époque moderne, Saint-Tropez et La Ciotat en Provence,

Parghelia, Bagnara et Scilla en Calabre, Laigueglia et Porto Maurizio sur la côte

ligure, les nombreux centres côtiers de la mer Ionienne et de l’Adriatique appa-

rus au fur et à mesure que les Vénitiens perdaient le contrôle sur ce qu’ils appe-

laient le golfe de Venise – font donc concurrence aux grands centres marchands.

Ainsi, au xviii

e

siècle, les Autrichiens en construisent un, Trieste, avec des pré-

tentions d’hégémonie. Mais ce grand centre ne parvient pas à dominer les lieux

avec lesquels il commerce, et peut être même colonisé le cas échéant, comme le

déplorent marchands et fonctionnaires locaux, par des Grecs arrivés récemment

en ville avec un sac de figues sèches sur les épaules.

Il y a donc tout un vaste monde méditerranéen très éloigné des fastes de la

civilisation de l’échange mais loin d’être exclu des jeux du marché. Beaucoup se

plaignent même de l’« arrogance » d’un marché qui bouleverse les équilibres pro-

ductifs et sociaux, en empêchant la « progression structurée » qui, dans les socié-

tés bien organisées, commercialise uniquement les biens dépassant les besoins