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Échanges commerciaux

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français à partir de la seconde moitié du xvii

e

siècle, toutes prennent part aux

grandes transformations qui, à partir de la fin de l’époque moderne, bouleversent

les savoirs et les outils de la production et de l’échange. La révolution des trans-

ports maritimes de la seconde moitié du xix

e

siècle, avec l’arrivée des bateaux

à vapeur et l’ouverture du canal de Suez, investit également la Méditerranée.

Mais les événements essentiels surgissent et se déroulent désormais ailleurs. Cette

vieille fascination pour les grands siècles de l’échange, ceux de l’époque classique

et ceux à cheval entre le bas Moyen Âge et le début de l’époque moderne, resurgit

toutefois dans l’historiographie du xx

e

siècle, en proposant de nouveau l’image

stéréotypée de la civilisation marchande méditerranéenne comme berceau d’une

civilisation économique occidentale, menacée par des barbaries anciennes et nou-

velles, mais destinée à triompher.

C’est l’un des grands récits qui structurent la mémoire européenne et occi-

dentale. Dans le contexte de la mondialisation actuelle, la tentation de durcir et

d’utiliser le récit pour renforcer une identité menacée se fraie un chemin jusque

dans l’historiographie professionnelle. Mais ici, cette historiographie se mesure

avec la tendance opposée qui consiste à compliquer le récit. Le regard se décen-

tralise en faisant apparaître au premier plan des hommes et des lieux laissés trop

longtemps dans l’ombre. La Méditerranée prend le visage d’une mer grouillant

de marins, marchandises et navires qui pénètrent dans des coins reculés dont les

toponymes ne sont pas toujours reportés sur les cartes de géographie.

Les sociétés locales méditerranéennes, comme on l’a dit, ne se regroupent pas

dans des microespaces autosuffisants, selon le modèle nord-européen de l’auto-

consommation rurale. Le risque alimentaire concerne non seulement les villes,

mais aussi les campagnes, y compris les campagnes céréalières, et contribue à les

projeter dans le monde des échanges commerciaux. D’ailleurs, cette projection

marchande ne crée pas des complémentarités économiques stables. Le pay-

sage rural produit un éventail limité de denrées : c’est la célèbre « trilogie médi­

terranéenne », blé, huile et vin, qui, avec la laine des moutons transhumants et,

à partir du début de l’époque moderne, la soie « copiée » sur les Chinois, consti-

tue à la fois une bénédiction et une malédiction pour les producteurs. La variabi-

lité des récoltes et la fluctuation de la demande peuvent en effet provoquer une

succession d’années de disette et d’autres durant lesquelles les marchandises pour-

rissent dans les entrepôts du fait de l’absence d’acheteurs. Les complémentarités

entre les sociétés côtières sont donc souvent faibles, et doivent être recherchées

laborieusement à travers une activité très poussée, minutieuse et quotidienne,

sur des marchés qui, même pour ces denrées de base, peuvent être éloignés dans

l’espace physique et culturel. Parallèlement, les marges de flexibilité du paysage

agricole doivent être totalement exploitées. Paysage qui, malgré les rhétoriques

de la Méditerranée éternelle, est tout sauf immobile : sous l’impulsion d’une