Voyage | Bertrand, Gilles

Voyage 1542 Les guerres ont pu obliger à des détournements par voie de terre. Soucieux d’éviter les effets du blocus continental, Napoléon imagina de créer des canaux à travers l’Italie pour faire transiter troupes et marchandises de la France vers la mer Adriatique et les Balkans sans passer par la Méditerranée. À l’inverse, la mer a longtemps facilité les déplacements en permettant de pallier les difficultés des liaisons terrestres : tels le chemin d’Antibes à Gênes et celui de Gênes à La Spezia, difficiles par voie de terre au moins jusqu’en 1810 pour le premier. Ces possibilités d’usage « économique » de la mer ont fait de la Méditerranée, on le sait, l’espace fondamental cher à Fernand Braudel des échanges entre États euro- péens, dominant la scène internationale jusqu’à ce que s’opère au xvii e siècle un transfert vers la mer du Nord. Les impératifs de la politique et le jeu des représentations réciproques Les voyages en Méditerranée se placent sous le signe du croisement et de la réci- procité : Turcs ou Arabes vers l’Europe chrétienne (Dakhlia et Vincent, 2011 ; Valensi, 2012), Européens vers le Levant (Maalouf, 1983) ou le Maghreb, ce dernier étant à l’époque moderne le domaine des régences d’Alger, Tunis et Tripoli (Brahimi, 1976). Certes la Sicile avait été entre le x e et le xii e siècle visitée par de grands voya- geurs ou géographes arabes venus du Kurdistan comme Ibn Hawqal, ou de l’Es- pagne comme al-Idrîsî et Ibn Jubayr (Ruta, 2009). Sauf exception, ainsi que l’atteste la présence de 30 000 Turcs en 1543 à Toulon, les musulmans ne tra- versent cependant la Méditerranée vers le nord-ouest que de manière spora- dique avant le xix e siècle. À côté des envoyés ottomans qui, depuis le xvi e siècle, débarquent à Marseille et se rendent à la cour de France, comme Süleyman Agha en 1669, ou des ambassadeurs des régences barbaresques, on relève cinq catégo- ries principales de voyageurs (Poumarède, 2006). Ce sont les domestiques ou secrétaires ramenés par le personnel des ambassades et consulats, quelques mar- chands grecs, juifs, arméniens, plus rarement turcs, égyptiens, tunisiens et algé- riens, ou bien encore des soldats comme les Tartares et les Turcs du régiment de Saxe-Volontaires entre 1743 et 1750. Parfois des musulmans viennent faire valoir leurs droits, tels ces Turcs de Crète arrivant à Marseille, en 1728, pour obtenir justice d’un acheteur qui ne leur a pas payé une cargaison d’huile. Enfin, le groupe de captifs saisis dans les navires barbaresques ou achetés sur les marchés d’esclaves pour être engagés comme rameurs est le plus nombreux, mais du fait de la contrainte forte qu’ils subissent, peut-on à leur propos parler de voyages ?

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