Voyage | Bertrand, Gilles

Voyage 1543 Du côté de l’Europe chrétienne, le regard sur l’autre subit durablement l’im- pact de la perception d’une menace turque après la prise de Constantinople en 1453 et de la volonté française de construire à partir de François I er un rap- port d’alliance privilégié avec le sultan. Catholiques et protestants se disputent des zones d’influence ainsi que le montre La Syrie sainte de Joseph Besson (1660), et la composante religieuse irrigue les projets de nouvelle croisade comme celui contre l’Empire ottoman que Jean Coppin remet en 1665 à Louvois et au pape. La représentation des peuples de la Méditerranée dans les relations de voyage traduit ces enjeux à la fois politiques et religieux. Malgré un certain attrait pour les Turcs, les femmes voilées, la liberté des chrétiens d’Alep ou la sûreté des rues du Caire, la bigarrure ethnique et la coexis- tence religieuse dans les villes et les ports de la Méditerranée apparaissent répul- sives aux yeux de la trentaine de pèlerins dont Jean-Paul Bonnin (2001) a étudié les textes rédigés entre 1480 et 1700. Ainsi les Maures ou Sarrasins et les juifs sont-ils jugés à l’aune de critères avant tout confessionnels. Les missions diplo- matiques induisent un regard souvent plus empathique, dont témoignent les relations à Constantinople et dans le Levant de Jean Chesneau (1547‑1555), Savary de Brèves (1584 à 1605) ou encore Henry de Beauvau (1604‑1605). Il en va de même dans celles de Louis Deshayes de Courmenin (1621), de Du Loir parti de Marseille en 1639 avec l’ambassadeur du roi de France avant de reve- nir 17 mois plus tard avec celui de Venise, du père Robert de Dreux, aumônier d’ambassadeur (1665‑1669), du chevalier d’Arvieux, qui de 1653 à 1686 ajouta à ses activités commerçantes et consulaires celle de négociateur à Tunis, Istanbul et Alger. Après avoir contribué à la fin des années 1770 à réorganiser les échelles du Levant et de Barbarie et préparé en voyageant à travers le bassin méditerra- néen une expédition française en Égypte que concrétisera Bonaparte, le baron François de Tott publia en 1784 des mémoires sur les Turcs et les Tartares. Fort de ses longs séjours de Constantinople à la Crimée et à l’Égypte entre 1755 et 1779, il y décrit le despotisme ottoman au quotidien. Les commerçants, gens de lettres, médecins et autres voyageurs rendent eux aussi compte à partir du xvi e siècle des mœurs et coutumes des peuples en même temps qu’ils enquêtent sur la nature rencontrée. Le récit de Jean Palerne, contem- porain de Montaigne qui voyagea pour son plaisir en Grèce, Turquie, Syrie, Palestine et Égypte, abonde en remarques sur les comportements humains et sur les pratiques religieuses des musulmans, traduisant son ouverture d’esprit. Nicolas de Nicolay (1551) ou Jacques de Villamont (1588‑1590) sont mus par l’esprit d’aventure et se livrent dans leurs voyages à une forme de vérification qui embrasse la géographie physique et humaine, l’ethnographie, la politique, l’éco- nomie, l’histoire, la religion et la navigation, expérimentée depuis la diversité des embarcations jusqu’aux vents, aux ports et aux arsenaux. Un immense succès est

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