Voile | Kerrou, Mohamed

Voile 1537 à une mise en scène où s’imbriquent le désir de plaire ainsi que l’aspiration à un mieux-être qui tranche avec l’aspect sombre et uniforme des « voiles tradition- nels » des générations précédentes. La dimension esthétique est liée à un contexte mondial de métissage culturel où la standardisation n’exclut point la distinction vestimentaire. Du coup, les voiles ne sont plus des « chiffons » mais des objets de parure qui se conjuguent avec les vêtements modernes (blousons, chemises, pantalons, jeans, bottes…) et varient en fonction de l’espace social (travail, loi- sirs, fêtes…) invitant à tel ou tel choix de la couleur et de la forme. Le vêtement- voile tient ainsi de la mode et d’une « culture de l’apparence » diffusée par les médias, en se constituant en langage du corps et en jouant un rôle structurant dans la constitution d’une identité aux frontières mouvantes. Solidaires d’une identité individuelle liée à la volonté d’autonomisation et d’une identité communautaire arrimée au mythe de la oumma islamique, les « nouveaux voiles » se déploient au sein des sphères publiques elles-mêmes en butte aux trans- formations internes et externes. Tout se passe comme si ces signes et symboles vestimentaires accompagnaient l’émergence, lente et progressive, de nouveaux rapports sociaux de genre où les femmes ne sont plus soumises aux logiques sécu- laires de la domination masculine. L’enjeu politique des « nouveaux voiles » est incontestablement la montée du pouvoir féminin dans les sphères publiques dans la mesure où ils permettent non seulement à nombre de femmes musulmanes de sortir de leur foyer et d’accéder à l’espace public mais aussi de revendiquer, en tant qu’individus et citoyennes, le droit d’afficher leur identité religieuse et culturelle, et d’être indépendantes au niveau des idées, des pratiques et de l’organisation. À cet enjeu politique des « nouveaux voiles » s’ajoute un enjeu économique de première importance puisque le hijâb est lié, dans ses variantes et ses acces- soires, au marché globalisé qui étend son empire aux quatre coins de la planète et se déploie en termes de flux et de mouvements transnationaux de marchan- dises, de capitaux, d’idées et de personnes. Le voile apparaît alors comme une reterritorialisation symbolique des identités anciennes – culturelles, religieuses et nationales – qui se sentent menacées par la globalisation économique et cultu- relle. Les replis identitaires constituent une sorte de réponse au néolibéralisme envahissant et engendrant une impuissance des États nationaux qui ne consti- tuent plus un cadre de référence pouvant assurer la sécurité matérielle et morale de leurs citoyens. C’est pour cela que les États-nations se sentent désarmés face aux phénomènes sociaux et culturels dont le voile est le référent pour les sociétés et les communautés musulmanes ballotées entre l’élan de modernisation forcé des structures et des mentalités et l’attachement aux traditions réinventées dans un contexte de défi et de rapports internationaux inégaux. Face à la globalisation, l’islam contemporain recourt à une moralisation de la sphère publique, nationale et internationale, en fabriquant une politique

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