Voile | Kerrou, Mohamed

Voile 1536 et du temps, mais en tant que pratique vestimentaire de type communautaire et identitaire. C’est durant cette période historique décisive du xx e siècle que les femmes musulmanes couvertes de haïk , sefsari , jellaba , lithâm , melhafa … inves- tissent massivement l’espace public des sociétés colonisées et périphériques, en relation étroite avec le nationalisme et les transformations de la famille et de la société induites par l’urbanisation et l’industrialisation qui affectent les bases économiques et les manières d’être et de faire des individus. Plus tard, en relation étroite avec la Révolution iranienne (1979), les « voiles islamistes », souvent de couleur noire, émergent un peu partout dans le monde musulman, en tant que signes protestataires contre les régimes politiques en place considérés comme les alliés de l’Occident impérialiste. Mais l’échec de l’islam politique limite la diffusion, à l’extérieur, de ces signes vestimentaires et corpo- rels imposés par les autorités religieuses, à savoir la maqnaeh et le roupouch pour les femmes, ainsi que la barbe taillée et le costume moderne sans cravate pour les hommes des classes aisées et moyennes. En Arabie Saoudite et à un degré moindre dans les pays du Golfe, l’imposi- tion du niqâb – ce voile féminin couvrant tout le corps et ne laissant apparaître que les yeux souvent cachés, de nos jours, par des lunettes noires – est solidaire d’une politique rigoriste de la pudeur où la femme est assimilée à une ‘awra ou partie à cacher du corps et à une fitna ou élément de discorde vis-à-vis de l’ordre patriarcal qui se reproduit via les traditions bédouines entretenues par la rente pétrolière et le prestige social de la consommation de luxe. Ce n’est qu’à la fin du xx e siècle et au début du III e millénaire qu’apparaissent les « nouveaux voiles » dits « voiles islamiques », en rapport avec le phénomène de la globalisation qui engendre une compression de l’espace et du temps, une angoisse identitaire généralisée accompagnant, un peu partout, une crise finan- cière et économique gérée tant bien que mal par des pouvoirs-spectacles dans les sociétés du Nord et des États autoritaires dans les pays du Sud de la Méditerranée. Par opposition aux « voiles traditionnels » et aux « voiles islamistes », les « nou- veaux voiles » se caractérisent par la légèreté de la mise, l’esthétique, le bricolage et le choix individuel orienté vers la construction identitaire. En effet, le revoile- ment des musulmanes ne s’effectue plus, pour la majorité, par le biais d’un vête- ment dérobant la quasi-totalité du corps mais par un simple couvre-chef (ghitâ al-râs) cachant les cheveux ainsi que le cou et couvrant parfois le buste. Pareille tenue n’est point dénuée d’esthétique, renvoyant à une culture individuelle de l’être et du paraître. Au sein de cette culture diffuse, le jeu de la corporéité renvoie à une théâtralité et à une socialité où interfèrent des signes, des représentations de Soi et de l’Autre. Tout en se constituant en marque de distanciation d’avec les tenues féminines modernes considérées comme « impudiques », les « nou- veaux voiles » empruntent souvent des couleurs chatoyantes et font référence

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