Virginité | Knibiehler, Yvonne

Virginité 1526 patriarcales : c’est le père qui donne sa fille en mariage. La virginité de la mariée est importante en ce qu’elle garantit l’authenticité de la filiation. Comment est-­ elle attestée ? Les Anciens, y compris les médecins, ignorent ou négligent l’exis- tence de la membrane appelée « hymen » ; seule une grossesse peut disqualifier la promise . Des parents honorables savent garder leur fille : elle est avertie que, si elle cède au vertige de l’amour, son père la chassera ou la vendra comme esclave, et ses proches ne la reconnaîtront plus. Le mariage est une cérémonie religieuse, qui ménage les déesses vierges : la fiancée multiplie les offrandes, à Artémis notamment, pour la remercier de sa protection et se séparer d’elle sans l’offen- ser. Parmi ces offrandes, il y a souvent des jouets, car les filles sont données en mariage très jeunes, peu après la puberté, parfois avant. Une foule de divinités et d’entités divines participent à la nuit de noces, accompagnant, geste après geste, cette première étape, dense et délicate, de la formation d’un couple. Le lende- main, la mariée n’est pas encore une épouse. Il est assez rare, en effet, qu’une vierge connaisse l’orgasme dès la « première fois » : il appartient à son mari de lui révéler le plaisir d’amour afin qu’elle s’attache solidement à lui. Et elle n’accédera au statut de femme accomplie que lorsqu’elle aura mis au monde son premier enfant. La perte de la virginité est donc un processus complexe, qui comporte des étapes : la pénétration (nous disons « défloration »), la découverte d’Éros, la fécondation. C’est ce que confirmera Freud à sa manière, dans un article intitulé « Le tabou de la virginité » (1918) . Une fille de citoyen entre en mariage dans des conditions privilégiées. Bien d’autres filles sont destinées à l’état de concu- bine ou d’hétaïre au service d’un homme riche. Quant aux esclaves, pubères ou non, elles sont à la merci de leur maître. Les Anciens admettent qu’une femme qui cesse toute relation avec les hommes redevient vierge après quelque temps ; les prêtresses sont souvent dans ce cas. Le monothéisme élimine toutes les déesses. Pour autant, il ne démythifie pas la virginité féminine : il favorise l’émergence d’interprétations nouvelles. Les juifs, qui attachent beaucoup d’importance aux généalogies, exigent des preuves tangibles de la virginité de la mariée : les linges tachés de sang sont mentionnés à la fin du vii e siècle avant notre ère dans le Deutéronome (chap. XXII). Les lois hébraïques concernant le viol sont très élaborées ; mais la victime à dédommager n’est pas la fille ou la femme, c’est le père ou le mari, considérés comme des pro- priétaires spoliés. L’histoire de Dinah, fille de Jacob, violée par Sichem et ven- gée par ses frères, permet de comprendre pourquoi la violence subie par une fille déshonore toute une famille. Pour les musulmans, la virginité féminine semble apporter à l’homme une satisfaction particulière, en ce qu’elle atteste la domi- nation masculine. Au paradis d’Allah, les croyants sont attendus par des houris, jeunes et belles, vierges inaltérables : chaque union est une rencontre nouvelle, un temps de redécouverte réciproque et d’émerveillement.

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