Virginité | Knibiehler, Yvonne

Virginité 1527 Le christianisme provoque une véritable révolution dans les représenta- tions et dans les mœurs : d’une part, il transfigure la virginité en lui confé- rant une qualité morale, d’autre part, il la recommande aux hommes autant qu’aux femmes. Jésus-Christ, modèle par excellence, n’a jamais vécu en couple et n’a pas procréé ; il a invité ses disciples à tout quitter, même leur famille, pour le suivre. Paul de Tarse prêche avec ardeur ce détachement ; il invente la sexualité, qu’il nomme la « chair » ; il la condamne parce qu’elle retient les humains du côté animal, alors que, créés à l’image de Dieu, ils doivent tendre vers l’Esprit. Le sexe est coupable depuis la chute d’Adam et Ève, alors que la virginité volontaire, retour aux origines, est une élévation de l’âme vers Dieu. Bien des hommes répondent à cet appel et renoncent à la chair, pour vivre en ermites ou se faire moines ; en fait, ils choisissent l’abstinence plutôt que la vir- ginité proprement dite car, dans les cités antiques, un garçon pubère avait peu de chances de rester vierge. En revanche, la doctrine propose aux filles et aux femmes un bouleversement inouï de leur condition : elles peuvent refuser l’as- sujettissement du mariage ainsi que les lourdes charges de la reproduction, et disposer de leur corps, si souvent qualifié d’« impur », pour accéder à la sain- teté ; c’est là une forme d’émancipation. Aussi les nombreux traités que les Pères de l’Église consacrent à l’éloge de la virginité, de la fin du ii e à la fin du iv e siècle, s’adressent-ils surtout aux filles d’Ève. Le plus complet est sans doute celui d’Ambroise, évêque de Milan (vers 340‑397). Sans condamner le mariage, ces ouvrages en décrivent à l’envi les désagréments. Plus inattendue est la cri- tique de la fécondité : le monde est assez peuplé, il n’est plus nécessaire de faire des enfants. La virginité volontaire, disent les Pères, n’est pas facile à préser- ver sur le long terme. Elle exige une totale maîtrise du corps : une discipline ascétique doit régler la nourriture, le costume, le travail, la prière, le sommeil. Deux conditions permettent aux filles pieuses de respecter ces règles : le voile et le cloître, la consécration et la vie en communauté. Au cours d’une cérémo- nie publique de « consécration », elles prononcent les vœux de pauvreté, chas- teté, obéissance, et deviennent « épouses du Christ » ; elles vivent ensuite au couvent, sous le contrôle de l’Église. Le statut d’« épouse du Christ » écarte toute idée d’émancipation : l’épouse est soumise à l’époux divin, représenté ici-­ bas par l’évêque. La symbolique du mariage prévient aussi le risque de mascu- linisation. En effet, la virginité volontaire peut être perçue comme une forme de virilité, en ce qu’elle libère l’esprit des exigences d’un corps femelle ; or la vierge consacrée, même si son corps reste indemne, se reconnaît femme en se liant à l’époux divin. Elle ne renonce pas à l’épanouissement affectif que pro- mettent les noces : le Seigneur Jésus est tout amour ; aimer un homme infini- ment supérieur à tous les autres, et lui réserver un corps intact, tel est le sens donné, en christianisme, à la virginité féminine volontaire.

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