Temps | Chiffoleau, Sylvia

Temps 1434 En Europe, les grandes phases de transformation de la conscience du temps prennent place au bas Moyen Âge, moment où le temps du marchand se substi- tue au temps de l’Église (Le Goff, 1960), et qui voit naître et s’imposer l’horloge, puis à l’époque de la révolution industrielle qui place le travail au cœur des tem- poralités sociales, enfin aujourd’hui avec la désarticulation du temps de travail et le mouvement d’accélération général lié à la mondialisation. En revanche, sur la rive sud de la Méditerranée, la tradition marchande est héritée de l’Antiquité, et son affermissement et son institutionnalisation sont contemporains des premiers siècles de l’islam. Si l’islam a inscrit la région dans un nouveau temps religieux et un nouveau calendrier, il semblerait donc qu’il y ait eu, non pas une succession, mais une quasi-simultanéité ou du moins une affinité profonde entre le temps religieux et celui du marchand. Quant à la révolution industrielle, qui constitue pour l’Europe un moment crucial dans la promotion d’un temps moderne et l’acquisition d’une discipline temporelle par les individus, elle n’a qu’à peine, et tardivement, effleuré les sociétés arabes et musulmanes. C’est donc une autre chronologie qu’il faut restituer pour saisir les spécificités de l’histoire du temps et de ses computs sur la rive sud de la Méditerranée. La région ayant vu naître les premiers calendriers est caractérisée, d’une part, par la profondeur de son histoire, qui a entraîné une stratification des mesures et des conceptions du temps, d’autre part, par sa diversité ethnique et religieuse qui a produit conjointement une juxtaposition de ces mesures et conceptions du temps. L’histoire du temps dans le monde arabe et musulman est loin de présen- ter un profil linéaire mais constitue plutôt un champ de concurrence, voire de conflits, opposant notamment pouvoirs politique et religieux, ou encore pou- voirs religieux entre eux. Et lorsque l’Occident introduit le temps de l’horloge et le calendrier grégorien au xix e siècle (lui-même en situation coloniale, ou ailleurs, de façon moins radicale, par le biais des États modernisateurs), il s’agit juste d’une modalité nouvelle qui vient s’ajouter à bien d’autres déjà en place. Les calendriers La Mésopotamie et l’Égypte ont créé les tout premiers calendriers, mais c’est le calendrier solaire julien, issu d’une réforme du calendrier romain promue par Jules César en 46 av. J.‑C., qui a permis une première unification temporelle sur le pourtour de la Méditerranée. Une partie de cet espace a été conquise au vii e siècle par l’islam, qui impose un nouveau calendrier. Le temps de la culture arabe préislamique, formée de nomades, de marchands caravaniers et d’oasiens, était rythmé par les mouvements de la Lune. L’apparition du premier croissant de Lune venait briser la durée continue (dhar) , et la succession des lunaisons se

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