Tauromachie | Saumade, Frédéric

Tauromachie 1423 néo-mudéjar de certaines arènes construites à la fin du xix e siècle, lorsque la vogue de l’Andalousie arabo-gitane battait son plein, au-delà de l’Espagne, dans l’opérette et les salons parisiens. Quant à l’étymologie de tauromaquia , loin d’être un héritage des anciens Grecs, elle remonte à peine à la fin du xviii e siècle, ce terme apparaissant en 1796 dans le titre du premier traité de corrida à pied (Pepe-Illo, 1984). À cette époque, en Espagne, les toreros se répartissaient en deux groupes : d’une part, les cava- liers picadors ( varilargueros , disait-on alors, porteurs de la vara larga , la longue perche terminée par une pointe métallique), qui étaient des vachers habitués à garder à cheval le bétail « sauvage » dans les grands espaces de marais et de sierra ; d’autre part, les toreros à pied, matadors et banderilleros, issus du sous-­ prolétariat urbain et des milieux interlopes qui hantaient les abattoirs, les foires et fêtes patronales des bas quartiers, le môle des ports, les tavernes à filles sans joie et autres coupe-gorge (Bennassar, 1993 ; Saumade, 1994). Autour de ces personnages marginaux se formait un curieux bouillon de culture baroque enca- dré par l’aristocratie de cour. Celle-ci avait, depuis le début du siècle et le règne du premier roi Bourbon d’Espagne, Philippe V, hostile aux jeux d’arènes, aban- donné la pratique ancienne de la corrida chevaleresque qui animait les fêtes de la monarchie aux xvi e et xvii e siècles, comme elle avait abandonné les champs de bataille. Laissant l’arène aux toreros populaires en voie de professionnalisation, elle s’était reconvertie dans l’organisation de corridas qui étaient appelées à deve- nir, de la sorte, un spectacle commercial moderne. En Andalousie et en Castille, sous l’impulsion d’une bourgeoisie qui inves- tissait ses profits dans l’accumulation des terres et le rachat des titres nobiliaires de maisons ruinées, l’élevage du taureau « sauvage » (toro bravo) devint l’un des rares secteurs innovants de l’agriculture espagnole du xviii e siècle. Si en Angleterre à la même époque, les vertus de la sélection génétique des troupeaux de bovins étaient mises à profit pour obtenir les spécimens les plus productifs dans le tra- vail agricole, dans le rendement en lait et en viande, dans les latifundia andalous, les avancées de la zootechnie et de l’agronomie appliquées au toro bravo servaient un dessein original : favoriser le développement de l’agressivité comportemen- tale du bétail dans un sens qui convînt au spectacle d’arènes. Ainsi ce bovin dit « sauvage », rigoureusement sélectionné dans la consanguinité, devenait-il en réalité un produit « aussi artificiel qu’une automobile ou un parfum », comme le disait le célèbre matador Juan Belmonte (Chaves Nogales, 1990). Lancée par la noblesse et la grande bourgeoisie foncière, la tauromachie d’ori- gine andalouse fut propulsée bien au-delà du cadre d’une simple tradition popu- laire. Certains lettrés et artistes espagnols, tels Nicolas Fernández de Moratín ou Ramón Bayeu y Subías, assistaient régulièrement aux corridas, fréquentaient les toreros au sujet desquels ils écrivaient et peignaient. Goya y trouva, on le sait

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