Tauromachie | Saumade, Frédéric

Tauromachie 1424 bien, son inspiration la meilleure, comme chaque fois qu’il abordait les sujets folkloriques. Cependant, la tauromachie avait à ses yeux une valeur ajoutée, qui tenait certainement à une passion personnelle, mais aussi et surtout au caractère obsessionnel qu’un tel engouement fait naître. L’effet de répétition, ou de varia- tion sur le même thème, qui en découle, comme dans le mythe, est le principe dynamique qui permet le passage de la figuration imitative du réel à sa représen- tation conceptuelle, et c’est bien là que se situe la modernité de Goya. Avec les deux portraits en odalisque de sa Maja vêtue/dévêtue, le peintre aragonais avait inauguré l’art contemporain ; avec le torero, héros romantique populaire, gar- dien des vertus de bravoure que la classe noble corrompue n’assumait plus guère, il innovait encore en faisant de cet aventurier aux atours sensuels un archétype du grand spectacle. Outre leur qualité extraordinaire, les deux portraits prin- ciers, réalisés vers 1795, des frères José et Pedro Romero, célèbres matadors de Ronda, tranchent avec la violence sourde du Goya noir et expressionniste des scènes tumultueuses de tauromachie populaire et des représentations des tragé- dies de l’arène. En réservant la place du seigneur aux frères Romero, alors réputés pour leur sagacité et leur compétence technique au moins autant que pour leur courage, Goya anoblissait le métier du spectacle de ceux qui savaient se distin- guer, par la finesse de leur style dans le jeu des leurres, capes et muletas, et par leur force de décision dans l’utilisation de l’épée, de la masse de leurs compa- gnons d’arène, issus de la plèbe urbaine et de la plus modeste paysannerie. Dans le même sens, soixante-dix ans plus tard, William Cody, Buffalo Bill, cow-boy du fin fond de l’Iowa et éclaireur de l’armée étasunienne, offrait aux publics amé- ricain et européen un même motif de fascination pour le type de héros viril issu des marges de la civilisation où il affronte les forces du sauvage. Cody fondait ainsi, avec la collaboration de l’impresario de théâtre Nate Salsbury, une struc- ture du spectacle de masse qui s’épanouit au xx e siècle et jusqu’à nos jours dans le cinéma. Plus prosaïquement en liaison avec notre sujet, dans le spectacle du Wild West Show, où des cow-boys, des Indiens et des vaqueros mexicains riva- lisaient d’adresse en affrontant des chevaux non dressés et des taureaux, se profi- lait une version nord-américaine du jeu d’arènes appelée à devenir aussi fameuse que la corrida : le rodéo (Saumade et Maudet, 2014). L’illusion sacrificielle C’est de cette conjonction entre les élites et le peuple, entre l’art et le folklore, qu’est née la mythologie historienne construite par les « tauromanes » culti- vés qui veulent voir leur passion pour la tauromachie sous la patine de la plus haute Antiquité, afin de lui conférer une aura nobiliaire propre à subsumer ses

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