Sphère publique | Kerrou, Mohamed

Sphère publique 1399 Ce mouvement inédit dans l’histoire de la contestation de masse s’est étendu à d’autres places publiques urbaines en Espagne, en Italie, en Grèce, en France… avant d’atteindre, outre-Atlantique, le boulevard Rothschild, Wall Street et de nombreuses autres villes dans le monde. L’avenir dira si ces mouvements dispa- rates reflétant le dysfonctionnement du système capitaliste avancé sont capables de réinventer la politique et la société pour les nouvelles générations condam- nées au chômage et au désespoir. Du côté sud de la Méditerranée, les soulèvements de 2011, qui ont permis de déboulonner des dictateurs qui se croyaient inamovibles (Tunisie, Égypte, Libye) ou ceux qui sont en gestation sous forme de guerres civiles (Syrie, Yémen), ainsi que les réformes constitutionnelles (Maroc, Algérie, Jordanie), ouvrent tous sur des transitions politiques à durée indéterminée et à l’issue incertaine. L’espace public conçu comme ensemble de lieux de rencontres et de forums d’idées se situe au cœur des changements politiques à l’œuvre dans l’ensemble du monde arabe. Il n’y a qu’à penser au rôle de la place Tahrir pour la révo- lution égyptienne et de la place de la Kasbah pour la révolution tunisienne en vue de saisir la nouvelle dynamique de ces espaces publics transformés en lieux de réunion, de prise de parole et de contestation de l’ordre dominant par des mouvements de jeunes opérant aussi bien sur l’Internet que dans les rues. Toute la question est de savoir si ces mouvements de contestation, qui ne cessent de se développer, sont de nature à agencer de nouvelles pratiques politiques per- mettant de rompre avec l’autoritarisme et d’ancrer la démocratie en tant que culture, régime et idéal politiques. Au sein de ces espaces publics effervescents, les femmes ont joué un rôle actif traduisant leur aspiration à l’égalité citoyenne et leur solidarité avec les hommes qui revendiquent une liberté bafouée par des systèmes autoritaires structurelle- ment condamnés. Les violences policières à l’encontre des manifestants mettent à nu les pratiques du pouvoir et la survie de l’ancien système qui demeure encore vivant malgré la résistance d’une société civile vigoureuse et néanmoins traversée de contradictions politiques, communautaires et claniques, comme le prouvent les attaques sanglantes contre les Coptes et les viols des femmes journalistes en Égypte. Ces actes visant l’intimidation de la presse libre et des femmes émanci- pées traduisent une violence politique qui reste à contenir lors de cette phase de transition où l’autorité de l’État est chancelante alors que l’exigence de liberté est grandissante, confinant parfois au désordre et à l’anarchie. La visibilité des femmes dans l’espace public, initiée massivement au lende- main des guerres mondiales, pose encore problème au sein des sociétés de la rive sud de la Méditerranée. Souvent, c’est au nom de la religion servant de para- vent à la reproduction de l’ordre patriarcal que les résistances au changement opèrent et justifient les pratiques conservatrices tendant à imposer l’inégalité

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