Sphère publique | Kerrou, Mohamed

Sphère publique 1398 Le processus historique de formation de la sphère publique de la société civile bourgeoise s’est effectué en relation étroite avec la formation de l’État-nation en Europe (Angleterre, France, Allemagne…), du xvii e au xix e siècle. Espace d’échange et de médiation, la sphère publique est assimilée par les francophones à l’espace public, même si cette notion, en vogue chez les urbanistes, les géo- graphes et les sociologues, désigne souvent l’espace matériel constitué par les voies et les places publiques alors que la notion anglo-saxonne de sphère publique est éminemment politique et réfère à la publicisation des idées et à la communi- cation. La publicisation ou publicité des idées est une notion clé de la théorie habermassienne de la sphère publique, d’autant plus que la publicité tend à se pervertir sous l’effet de la manipulation de l’information mise au service des intérêts privés. De toute façon, la sphère publique se veut une sphère intermé- diaire entre l’État et la société civile, et un lieu d’expression libre de l’opinion publique sur les questions d’intérêt général. Des critiques pertinentes ont été adressées à Habermas concernant sa sociolo- gie historique de la sphère publique de la société civile bourgeoise, notamment sa non-prise en considération des variables du genre, de l’identité et des mou- vements sociaux ainsi que la marginalisation de la sphère publique plébéienne ou populaire, à assise ouvrière et petite-bourgeoise. À ces critiques, il faudrait ajouter l’idée d’émergence concurrente, ces der- nières années, d’une sphère publique transnationale avec ce qu’elle implique comme apparition de nouveaux médias et repositionnement du discours iden- titaire de type religieux, via les agoras cathodiques, électroniques et discursives répercutées au sein des places publiques urbaines. L’usage de l’Internet, la dif- fusion des réseaux sociaux et l’audience des chaînes satellitaires transmettant des images provenant des quatre coins de la planète opèrent également via les téléphones mobiles des citoyens à la recherche d’échanges et de liens autres que ceux proposés par les médias officiels. Dès lors, l’espace public transnational s’imbrique avec l’espace public national régi par l’État qui est de plus en plus remis en cause par de nouveaux mouvements sociaux propulsés par une jeu- nesse assoiffée de liberté et de justice sociale, et de larges couches sociales affec- tées par la détérioration des conditions de travail et de vie résultant de la crise financière mondiale. Du côté nord de la Méditerranée, où il existe une relative autonomie de la sphère publique liée à un ancrage plus ancien de l’État-nation et de la démocra- tie, un mouvement d’indignation a vu le jour, ces dernières années, en relation avec la globalisation et la révolte concomitante des peuples arabes. Il s’est posi- tionné contre le système des banques et les hommes politiques corrompus, en s’engageant dans la mobilisation de milliers de citoyens et en occupant les places publiques, à commencer par celle emblématique de la Puerta del Sol à Madrid.

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