Sept Dormants | Pénicaud, Manoël

Sept Dormants 1385 Plus largement, ce sommeil miraculeux a inspiré de nombreux artistes, dont Johann Wolfgang Goethe est l’un des plus illustres ( Divan occidental et oriental , 1819). Sur le plan narratif, l’aventure des Dormants est en fait l’un des premiers récits « hétérochroniques », pour reprendre le concept de Michel Foucault déve- loppé par la spécialiste de littérature médiévale, Brenda Dunn-Lardeau, à savoir « la coprésence volontairement instituée par un écrivain, et clairement marquée, entre des époques historiques distinctes qualitativement éloignées et entrete- nant une relation signifiante » (2009, p. 12). Contenant déjà les ressorts drama- tiques du voyage dans le temps, le mythe a donc donné lieu à plusieurs œuvres artistiques qui débordent largement la littérature (Mark Twain, Le Voyage des innocents , 1869 ; Jacques Mercanton, L’Été des Sept Dormants , 1974 ; Andrea Camilleri, Il cane di terracotta , 1996) ou la poésie (Salah Stétié, Rimbaud, le hui- tième dormant , 1993), puisqu’on le retrouve dans d’autres champs artistiques comme le théâtre (Tawfiq El Hakim, La Caverne des songes , 1933), les contes folkloriques (Grimm et Perrault), la musique (Dominique Joubert, Les Sept Dormants , 2009), le cinéma (Mohamed Chouikh, Youcef ou la légende du sep- tième dormant , 1993), entre autres. Certes, le récit des Sept Dormants a circulé depuis des siècles dans des hagio- graphies, sur les voies commerciales et les chemins de pèlerinage. Mais on le voit désormais se déplacer sur les nouveaux réseaux de communication, à tel point que l’Internet représente aujourd’hui le plus immense des territoires où les sept saints sont réveillés simultanément dans des contextes très distincts. En conclusion, l’histoire des Dormants est devenue un mythe à part entière, une réserve de sens que chacun peut s’approprier et interpréter, quitte à en détourner la signification première qui est d’ordre eschatologique. Ainsi, ce récit n’est plus la propriété exclusive des chrétiens ou des musulmans et peut désormais traverser les frontières confessionnelles, jusqu’à être repris à des fins non religieuses comme s’il était devenu « libre de droits ». Cela peut alors don- ner lieu à une sorte de « bricolage mythologique » que les artistes sont parmi les premiers à exercer en s’affranchissant du marquage eschatologique originel (les précontraintes, au sens de Claude Lévi-Strauss). Les réemplois du mythe dans le domaine du dialogue islamo-chrétien consti- tuent également une modalité des plus intéressantes. À l’instar de ce que Louis Massignon avait initié dans les années 1950, les Sept Dormants sont parfois utilisés pour promouvoir des valeurs de dialogue et de vivre-ensemble. Certes, il s’agit d’un mythe partagé par les chrétiens et les musulmans. Mais ce partage – ou cette mise en scène du partage – révèle une autre facette du champ d’étude récemment ouvert des lieux de pèlerinage fréquentés par des fidèles de reli- gions ou de confessions différentes (Albera et Couroucli, 2009). Car contrai- rement aux pratiques populaires et spontanées observées en Méditerranée, les

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