Sept Dormants | Pénicaud, Manoël

Sept Dormants 1384 chrétiens et musulmans sous le signe eschatologique des Sept Dormants. Outre le pèlerinage islamo-chrétien qu’il « invente » en Bretagne en 1954 « pour une Paix sereine en Algérie », il ne cesse de mettre en œuvre des initiatives à Éphèse en Turquie, à Guidjel en Algérie, à Séfrou au Maroc et à Rome, parmi les plus significatives. Pionnier du dialogue islamo-chrétien, Louis Massignon apparaît bel et bien comme un entrepreneur de l’interreligieux, ce qui rajoute une facette méconnue à la complexité et à l’ambiguïté du personnage. Hormis ce pèlerinage en Bretagne, le projet de Louis Massignon disparaît avec lui en 1962. Mais les Dormants ne se sont pas rendormis pour autant. Outre les dévotions « traditionnelles » en certains lieux de culte méditerranéens (prières, rituels thérapeutiques, formules prophylactiques), le mythe resurgit çà et là dans des situations qui peuvent déborder parfois du champ religieux stricto sensu . Aujourd’hui, les instrumentalisations politiques (institutionnelles ou contestataires) constituent par exemple une nouvelle modalité du mythe ; les initiatives interreligieuses sont certes les plus nombreuses, mais les exploitations économiques (touristiques et patrimoniales) se développent également, tandis que les réappropriations culturelles et artistiques fleurissent, souvent teintées d’une intention politique et/ou interreligieuse, mais pas exclusivement. Parmi les résurgences contemporaines, on trouve l’identification entre les Dormants et les sept moines de Tibhirine. Advenue dès le mois de mai 1996, c’était une façon de souligner l’abandon des moines martyrisés comme les Éphésiens du iii e siècle pour avoir refusé de renier leur foi. Puis, cette analogie a été largement reprise dans la presse et par des artistes (livres, expositions, oratorios), cela don- nant un nouveau souffle au mythe fondateur. Un deuxième exemple concerne le monastère de Mar Mûsa al-Habash (Saint Moïse l’Abyssin) en Syrie, fondé par le jésuite Paolo Dall’Oglio, disciple de Charles de Foucauld et de Louis Massignon. Or, c’est dans un élan « massignonien » qu’il y a créé ex nihilo une caverne des Sept Dormants pour favoriser le dialogue islamo-chrétien qui est l’un des piliers de la communauté monastique al-Khalil (« l’ami de Dieu ») créée en 1991. Enfin, la Tunisie constitue un autre cas intéressant puisque le mythe a resurgi dans un sens séculier et non plus résurrectionnel. Il s’agit d’un « réveil politique » dont l’originalité est d’avoir commencé avant la « révolution de jasmin ». En effet, un collectif d’artistes et d’activistes pratiquant du street art contestataire dans Tunis avait pris le nom de Ahl al-Kahf pour évoquer leur clandestinité et leur résistance au régime du président Ben Ali. Autre exemple, fin janvier 2011, le Tunisien Mohsen Lihidheb composait un poème faisant directement allusion aux Sept Dormants et à leur tyran qui n’est autre que Zine el-Abidine Ben Ali. Le mythe est donc convoqué par des artistes militants dans une intention politique et non plus eschatologique, ce qui tend à démontrer un processus de sécularisation.

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