Sel | Hocquet, Jean-Claude

Sel 1376 deltaïques aménagés par ces cours d’eau. L’empilement des sédiments engendre une extension de ces deltas lagunaires. Autrefois, il suffisait souvent à l’homme de barrer l’entrée d’une petite baie où arrivait un torrent pour établir une saline répondant ainsi aux besoins de la population locale. Deux conditions de climat et de sol favorisaient donc la production de sel sur les rivages méditerranéens. Cependant celle-ci se heurtait à un obstacle de taille : l’absence ou la faiblesse, déjà signalée, de marées. Or une saline, pour fonctionner correctement, doit être située au-dessus du niveau de la mer, afin d’expulser les eaux douces (eaux de pluie et de ruissellement, eaux hivernales qui ont lessivé les sels de magnésium dont la présence en excès entraverait la cristallisation du chlorure de sodium ou sel commun). Cette situation nuit au remplissage des bassins de la saline par gra- vité. Par conséquent, l’homme utilise, depuis l’Antiquité, des moyens artificiels pour élever l’eau de mer dans les bassins qu’il a aménagés : des roues à godets ou des vis d’Archimède capables de hisser l’eau par-dessus les digues, à une hauteur d’environ 60 cm. Ces divers engins étaient mus par la force animale, le plus sou- vent par des mules, avant d’installer, sur les canaux qui apportaient l’eau de mer, des moulins à vent, puis au xix e siècle, à vapeur, et au xx e siècle, électriques. Un salin méditerranéen, qui est un gros consommateur d’énergie naturelle (soleil et vent) était aussi, jusqu’au xix e siècle, un vaste terrain de parcours où travail- laient des centaines d’animaux que la proximité d’une voie d’eau (fleuve ou tor- rent) désaltérait. Le fleuve présentait une autre utilité dans ce monde minéral dominé par le sel : des barques chargées de la récolte le remontaient à contre-­ courant pour approvisionner les populations de l’arrière-pays. Comme l’évapo- ration durant l’été méditerranéen très sec est forte, les moyens rudimentaires mis en œuvre, même avec l’aide des mules, n’auraient pas suffi à renouveler les saumures pour fournir une récolte régulière et abondante. L’intelligence des hommes a suppléé cette carence, ils ont créé les salines en milieu lagunaire, dans les étangs littoraux peu profonds où l’évaporation particulièrement intense favo- risait la concentration et livrait aux salins un volume réduit de saumures. Au lieu d’élever 1 000 litres d’eau de mer, il suffisait d’en hisser 1/8 (125 litres). Mais à ce niveau de concentration, les sulfates et carbonates de calcium (gypse) pré- cipitent, se déposent et encrassent les mécanismes : l’eau du fleuve s’avérait une fois de plus fort utile. En la faisant passer sur les mécanismes, elle dissolvait le gypse et l’emportait à la mer. De tout ceci, on retiendra qu’un salin méditerra- néen – à qui sont généreusement fournis l’ensoleillement, la chaleur et le vent qui disperse la vapeur d’eau produite par l’évaporation – ne trouve de site vrai- ment favorable que dans les lagunes des deltas fluviaux. Les salins les plus vastes occupaient les deltas du Nil, des fleuves russes et du Danube, du Pô, du Rhône, de l’Èbre ou de fleuves mineurs, y compris dans des îles de toute taille (Sicile et Sardaigne, Corse, Eivissa [Ibiza] et Formentera,

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