Ruines | Théodoropoulos, Takis

Ruines 1352 chair assimile les plaies sous les cicatrices. Le paysage méditerranéen est parsemé des ruines qui inscrivent sur sa surface le déroulement des siècles. Les changements des goûts, des us et coutumes, des croyances, nous pou- vons les palper à Éphèse, sur les ruines du temple d’Artémis démoli sur ordre de l’empereur Théodose, ainsi que sur les ruines de la Rome impériale enterrée sous l’oubli des siècles qui lui ont succédé. Qu’elle soit due au hasard ou à la recherche volontaire de quelques esprits curieux, leur réapparition fut un évé- nement majeur de la constitution imaginaire de chaque époque. La Renaissance commence quand le regard scrute le passé, non plus comme un capital des faits historiques, mais comme un modèle, une présence qui impose ses limites. Cette présence est intouchable puisqu’elle est révolue, mais en même temps elle peut servir de matière première pour l’imagination. Ce n’est pas seulement l’abandon qui transforme un temple de Minerve ou de Vénus en ruines. Les invasions barbares ainsi que l’usure ne suffisent pas à inter- préter l’importance de la réémergence des vestiges de l’Antiquité aux grands mou- vements de la Renaissance. Il a fallu aussi ce glissement du sens et de la fonction, cette métamorphose dont André Malraux parle dans son musée imaginaire. Pour l’homme de l’Antiquité, le Parthénon, même s’il est incendié par les Gaulois ou les Érules, reste un temple de la déesse Athéna. Pour l’homme renaissant, il est déjà devenu une œuvre d’art, une forme, une pièce de son musée imaginaire. Raphaël conçoit les grandes lignes directrices de son art en dessinant les ves- tiges de la Rome antique. Et depuis Raphaël, la présence des ruines ne cesse de hanter l’art occidental. Au xviii e siècle, un artiste vénitien qui vécut à Rome, Jean Baptiste Piranèse, créa à partir des dessins des ruines tout un univers. Dans ses gravures, le passé se présente comme un labyrinthe qui engloutit l’espace à tra- vers ses subtilités architecturales, une espèce de machine grandiose qui règne sur l’espace. C’est au xviii e siècle aussi que l’Allemand Johann Joachim Winckelmann publia son Histoire de l’art antique , œuvre considérée comme fondatrice de l’ar- chéologie. Il passa quelques années de sa vie à Rome, où il vit les chefs-d’œuvre de l’Antiquité tardive, comme Laocoon ou l’ Apollon du Belvédère , et il mourut avant de pouvoir entreprendre son voyage en Grèce. Il est pourtant considéré comme le chantre de la « Grèce blanche », de la conception idéalisée de l’Anti- quité qui influença la pensée et l’art occidentaux jusqu’au xx e siècle. C’est cette idéalisation de l’Antiquité qui a créé une sorte d’aura sacrée autour des ruines de l’Antiquité. Depuis, commence la grande transformation des vestiges en sites, en objets d’attention, de soins, de curiosité, d’études et d’admiration esthétique. Au voyage en Orient, avec tous les échos exotiques que cela comporte, est substi- tué le voyage en Méditerranée. Ce ne sont plus les quelques érudits qui partent

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