Ruines | Théodoropoulos, Takis

Ruines 1351 Ruines Notre Antiquité avait déjà conçu sa propre Antiquité. C’était un horizon ima- ginaire fait des récits oraux, des textes écrits, des coutumes, et des constructions architecturales que leurs ancêtres avaient posées sur le paysage. Quand Pausanias entreprit son Voyage en Grèce au ii e siècle de notre ère, le Parthénon, vieux pour- tant de sept siècles, était encore intact. Les Athéniens continuaient à honorer la Vierge aux yeux pers, et, malgré les invasions et quelques incendies, son archi- tecture n’avait pas encore subi le sort qu’on lui connaît aujourd’hui. L’Antiquité de l’époque de Pausanias n’était qu’un fond qui offrait ses matériaux au présent, même au sens littéral du terme : pour construire, on utilisait les morceaux des colonnes ou les vieux marbres des bâtiments démolis. L’Antiquité de Pausanias ne comportait pas de ruines mais son texte reste aujourd’hui un instrument indispen- sable au déchiffrage et à la lecture des ruines dont est parsemée notre modernité. Les ruines participent à l’univers de notre modernité. Elles viennent d’un ail- leurs temporel mais elles font partie de notre présent. Grandioses ou modestes, monumentales ou pas, ayant un rayonnement universel ou tout simplement une aura discrète qui ne dépasse pas le paysage environnant dans le Péloponnèse, en Asie Mineure, ou à Tipasa, elles se présentent au regard comme une sorte de limite, une limite double, ambivalente, qui touche le temps et l’espace. Leur lec- ture est médiatisée par les travaux érudits des archéologues, des historiens, des architectes, mais en même temps elle est disponible, ouverte au regard, comme un accident du paysage. Parfois elles transforment la nature en paysage, comme les cicatrices d’une mémoire toujours en suspens. L’histoire des ruines commence avec l’histoire de notre modernité. Elles appa- raissent comme des épaves dans le gouffre qui sépare notre modernité de son Antiquité. Pour qu’il y ait ruine, il faut qu’il y ait rupture, destruction, un vire- ment violent du temps et des goûts qui laisse derrière les matériaux du passé. Mais en même temps, dans un mouvement inverse, il faut qu’il existe un espace qui aille au-delà des ruptures du temps, qui les assimile sur son corps comme la

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