Printemps arabe | Kerrou, Mohamed

Printemps arabe 1321 était porteuse de promesses d’unité nationale et de rénovations futures. De son côté, le « printemps de Prague » symbolise le « socialisme à visage humain » adoptant des éléments de libéralisme comme alternative au système totalitaire soviétique. En somme, l’idée de printemps politique est projetée de l’extérieur sur des expériences historiques différentes, ayant commencé en pleine saison hivernale tout en continuant depuis, et n’ayant pas le même background poli- tique, social et culturel. À la différence des mythes politiques indigènes comme ceux de la oumma ou du « califat » islamiques, le « printemps arabe » est d’une extrême indigence au niveau de la symbolique politique dans la mesure où il n’est pas doté, pour les Arabes, de significations émotionnelles et ne constitue pas une réactivation des codes culturels façonnant les structures de pensée et de comportement. Son seul intérêt méthodologique est d’offrir l’occasion, pour la critique sociologique, de se distancier du discours dominant véhiculé par les médias actuels, en quête perpé- tuelle de généralisations schématiques et sensationnelles. Il est vrai que le caractère artificiel n’est point dénué de portée opératoire dans la mesure où les acteurs et les observateurs locaux s’en sont emparés dans un élan de valorisation de leurs mou- vements, au lendemain des changements récents, voire bien avant, avec le « prin- temps amazigh » en Kabylie, le « printemps des femmes » au Maroc ainsi que le « printemps » de Beyrouth, de Damas, voire d’Iran avec la « révolution verte ». La révolte contre les potentats arabes étant partie de Tunisie, dans le sillage de l’immolation du jeune marchand ambulant Mohamed Bouazizi, les médias avaient d’abord confectionné le terme « révolution du jasmin » pour qualifier cette vague qui réussit à écarter en douceur le dictateur Ben Ali avant de s’étendre à d’autres régions (Égypte, Yémen, Libye, Syrie…). L’image touristique du pays télescopait l’image révolutionnaire « de velours », au point de susciter des cri- tiques internes qui raillaient le vocable de « révolution de jasmin » pour son aspect inapproprié au contexte géographique des régions périphériques et dés- héritées, en particulier le fief mi-urbain, mi-rural de Sidi Bouzid d’où partit la révolte et où l’on préférait, vu la tournure prise par le processus postrévolution- naire, l’expression de « révolution du figuier de Barbarie » (thawrat al-hindî) . Il est vrai que sous d’autres cieux, comme c’est le cas en Chine, le mouvement de contestation des jeunes était tellement craint à l’époque que le mot « jasmin » fut soumis à la censure officielle dans les nouveaux médias étroitement surveil- lés par les autorités. De facture lisse et poétique, le vocable de « printemps arabe » est généra- lement agencé en tant que substitut lexical au concept radical de « révolution arabe » produit en langue arabe (thawra) , par les acteurs eux-mêmes, et diffusé internationalement par les médias sans qu’il soit pour autant interrogé, dans une

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