Printemps arabe | Kerrou, Mohamed

Printemps arabe 1322 perspective de mise en relation avec les expériences similaires de rupture ou de continuité avec le passé et d’instauration d’un « ordine nuovo ». Au lendemain de la levée des « révolutions arabes », les politologues, analystes et autres observateurs de la vie politique, qui s’évertuaient jadis à pointer la soli- dité du « système autoritaire arabe », en insistant sur ses racines culturelles et ses assises sociologiques, voire islamiques, se sont soudainement convertis à l’étude des promesses du « printemps arabe ». Néanmoins, la victoire électorale des islamistes les a poussés, une année après le changement historique, à reconsidé- rer leur nouvelle grille d’interprétation, à remettre en question ladite formule magique de « printemps arabe » et à diffuser l’idée non moins impressionniste d’un « automne islamiste », voire d’un « printemps islamiste » envahissant une région aux lendemains incertains. La suspicion des spécialistes à l’égard du concept de « thawra » est également due à la déstabilisation qu’ils ont vécue lorsque les sociétés arabes ont bougé alors qu’ils étaient persuadés qu’elles étaient condam- nées au « despotisme oriental ». Le changement historique de nature variée, différenciée et somme toute complexe que vivent certains pays arabes où les anciens dictateurs ont perdu le pouvoir (Tunisie, Égypte, Libye, Yémen), ou bien ceux qui sont en proie à des troubles politiques plus ou moins violents (Syrie, Bahreïn, Jordanie), invite les sciences sociales à reconsidérer les paradigmes interprétatifs et à adopter l’ap- proche socio-anthropologique reliant le local au global ainsi que le politique à l’historique, sur la base d’enquêtes de terrain et d’une connaissance approfon- die des sociétés, des langues, des cultures et des traditions politiques. Avec le « printemps arabe », nous sommes en présence d’événements politiques majeurs qui s’insèrent dans le cadre d’un long processus historique dont seule une partie se déroule sous nos yeux ; le reste est à la fois inconnu et imprévisible comme l’ont été la plupart des faits du passé récent, y compris la chute rapide et extraordinaire des dictateurs que l’on croyait inamovibles. Il nous manque la distanciation avec le présent pour pouvoir analyser le factuel avec l’objectiva- tion requise par les sciences de l’homme et de la société. De fait, nous ne savons pas exactement comment le cours des événements a pris la tournure qui est la sienne, même si nous pouvons lire les faits avec les lunettes du sociologue et de l’historien du présent curieux de fixer les causes et d’identifier les conséquences pour en saisir la totalité sociale. Que s’est-il passé au juste : s’agit-il d’une révolution, ou d’une révolte et d’un soulèvement, ou encore d’un « réveil arabe » ? La révolution est-elle simplement une révolte qui a réussi, le soulèvement vise-t‑il à renverser le régime sans chan- ger le système, et le réveil arabe se réduit-il à une prise de conscience du peuple et pas seulement de l’élite éclairée comme ce fut le cas lors de la Renaissance arabe (Nahda) des xix e et xx e siècles ?

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