Printemps arabe | Kerrou, Mohamed

Printemps arabe 1320 Printemps arabe Le « printemps arabe » est un mythe politique fabriqué par les médias et les experts qui orchestrent l’opinion publique. Il constitue un type particulier de récit fabuleux qui réfère à une structure héroïque prétendant servir de mode de connaissance et d’explication des événements initiés en 2010‑2011, dans la région du « Middle East » (« Afrique du Nord et Moyen-Orient »). Son double caractère allusif et enchanteur est lié aux fondements imaginaires du mythe et à la fonction de résorption de l’angoisse ressentie face aux incertitudes induites par les changements imprévus. À l’instar de tous les mythes politiques mais sans la vocation de mobilisation, sa tendance profonde est l’affirmation de l’unité aux dépens de la pluralité ainsi que des oppositions binaires au détriment des mul- tiples variations des représentations et des pratiques sociales. Aussi, la notion de « printemps arabe » suggère l’image univoque et réductrice d’une démocra- tie naissante et triomphante sur les décombres des régimes autoritaires ayant jusque-là dominé les pays arabes. De la sorte, elle sous-estime la capacité des systèmes politiques et sociaux de perdurer à travers le temps ainsi que la possi- bilité de l’émergence de régimes post-autoritaires dans le sillage des démocrati- sations inachevées ou avortées, sans parler des risques réels de dérapage vers des situations de violence et de guerre civile. En réalité, l’expression saisonnière de « printemps arabe » est un produit exogène qui réfère à l’histoire européenne contemporaine : celles du « prin- temps des peuples » de 1848 et du « printemps de Prague » de 1968. Elle n’émane pas, comme la plupart des qualifications politico-médiatiques, de l’histoire locale mais constitue plutôt un artifice sans profondeur anthropo- logique et sans portée heuristique. Du coup, elle n’explique pas le processus in situ mais s’explique elle-même par le regard idéologique de l’Autre sur Soi, de l’« Occident » sur l’« Orient ». Aussi, le « printemps arabe » constitue-t‑il, du point de vue de la dénomination, une invention européenne. En plus, le « printemps des peuples » charrie l’idée d’un échec de la révolution qui fut écra- sée un peu partout en Europe au xix e siècle, même si l’expérience historique

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