Préhistoire | Bracco, Jean-Pierre

Préhistoire 1307 Mais cette longue durée est aussi synonyme d’une pluralité d’humanités autour du bassin méditerranéen. L’histoire des sociétés est ainsi en interaction avec une histoire biologique complexe dont certains aspects sont actuellement revus sur la base des analyses paléo-génétiques. Pour une réflexion systémique croisant biologie et culture, la Méditerranée apparaît comme une formidable zone d’étude en raison de la diversité des espèces humaines qui l’ont parcou- rue et qui s’y sont rencontrées, issues des hinterlands eurasiatiques et africains qui bordent ses rives. Enfin, l’histoire et les régimes politiques contemporains des pays médi­ terranéens sont sources d’une grande inégalité dans la documentation scientifique. La préhistoire est sans textes et sans mémoire, le plus souvent sans vestiges archi­ tecturaux ni monuments. La détection des sites préhistoriques est par conséquent toujours difficile et leur exploitation, rarement spectaculaire, ardue et longue. Or la connaissance des sociétés préhistoriques ne repose que sur cette analyse des sites et de leur contenu, et nécessite une politique scientifique volontariste de la part des États. Dans ce cadre, si la rive européenne a bénéficié d’impor- tantes recherches depuis un siècle, l’Est et le Sud de la Méditerranée sont moins connus (à l’exception du Proche-Orient), d’autres périodes ayant été jugées plus pertinentes pour la construction d’une histoire nationale par les autorités colo- niales ou autochtones. La question des relations entre les différentes rives de la Méditerranée et des circulations à l’intérieur de cet espace est un des schèmes dominants des recherches préhistoriques, souvent sous-tendues par des a priori idéologiques. Toutefois, la construction du discours scientifique ne s’est élaborée que très pro- gressivement, en particulier pour le Paléolithique. Pour cette période en effet, dominée jusqu’à la fin du xx e siècle par des figures issues principalement des sciences naturelles, la Méditerranée n’est d’abord pensée que comme un espace physique entre les continents eurasiatique et africain. Comme le montre le tra- vail comparatif de F. Bordes pour le Paléolithique inférieur et moyen, il s’agit avant tout d’identifier le parallélisme des grands stades d’évolution technique entre les deux continents, illustration de la lente maturation de l’Humanité, et de surligner des particularismes liés à des conditions locales et circonstancielles (Bordes, 1984). Pour le Néolithique, à la suite des travaux fondateurs de Gordon Childe et du succès de son concept de Révolution néolithique (Childe, 1934), l’exemple méditerranéen, avec sa triade (invention de l’agriculture puis apparition de la surproduction et d’une élite), fut intégré dans les grandes fresques évolution- nistes sur l’origine des inégalités inspirées par les réflexions de L. H. Morgan (1877) et F. Engels (1884). On peut toutefois identifier deux grands paradigmes au sein de plus d’un siècle de travaux et de réflexion, associés à chacune des grandes subdivisions de

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