Postcolonialisme | Fabbiano, Giulia

Postcolonialisme 1295 suffisamment consensuelle, il est donc préférable d’insister sur la richesse des ouvertures et des impulsions de ce champ dès lors qu’il explore avec une nou- velle perspective herméneutique les multiples formes de la marginalité et de la domination inaugurées dans et par le temps colonial. En mettant l’accent sur les relations imbriquées et sur les lieux de la différence, les études postcoloniales ont œuvré pour une « théorie de l’entre-deux », atten- tive aux dynamiques d’interconnexion et d’enchevêtrement, non seulement des temporalités historiques et des espaces géographiques éloignés – telles les socié- tés coloniales et colonisées – mais aussi des productions sociales et culturelles au sein même de chacun de ces espaces. En transgressant la chronologie politique de la décolonisation, elles ont attiré l’attention sur la complexité des registres d’oppression – mobilisant souvent une rhétorique raciale sous prétexte de prô- ner une idéologie universaliste – ainsi que sur la diversité des attitudes de résis- tance, de contournement et de renversement des minorités. Elles ont également montré la portée hybride et/ou diasporique de langages et de narrations identi- taires auparavant appréhendés comme expressions monolithiques d’une diffé- rence irréductible. L’on retiendra que le projet postcolonial est donc un projet de révision des paradigmes épistémologiques de la modernité occidentale qui, pri- vilégiant l’investigation des fragments à l’assertion de l’universel, fait de la situa- tion coloniale une expérience dialectique ne s’effaçant pas avec la fin des empires. Par sa nature et ses orientations, le postcolonialisme ressemble plus à une pers- pective heuristique, et dans une moindre mesure méthodologique, qu’à une théorie solidement structurée. Les âpres critiques qu’il a suscitées dénoncent cette porosité et soulignent les ambiguïtés théoriques et politiques dont la notion est porteuse. Non seulement elles mettent en garde contre la confusion entre la dimension tem- porelle – l’« après » – et la dimension critique – l’« au-delà » –, mais questionnent surtout la spécificité et la légitimité d’une approche qui, tout en privilégiant les marges et les fragments, se laisse parfois aller à un déploiement anhistorique et uni- versalisant. Ainsi, dans le dépassement de la lecture marxiste et tiers-mondiste, les dynamiques propres aux anciennes sociétés coloniales et colonisées se brouillent, en perdant leurs spécificités socio-historiques, dans le même temps que les diffé- rences et les temps sociaux se neutralisent derrière une esthétisation de l’hybridité et de la rencontre culturelle, qui minimise les enjeux structuraux. Si, depuis la parution en 1978 du texte fondateur d’Edward Said, L’Orientalisme , sur la pro- duction du discours orientaliste, l’étude des représentations est un des domaines d’investigation les plus investis, nombre d’auteurs rappellent cependant l’impor- tance de ne pas céder à une analyse purement textuelle. Autrement dit, il s’agit de ne pas sous-estimer la matérialité des discours et des représentations, et de prendre en compte également, au-delà du langage, les contextes de réception, de diffu- sion et de circulation. La critique matérialiste est sans doute la plus virulente en ce

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