Postcolonialisme | Fabbiano, Giulia

Postcolonialisme 1296 qu’elle accuse le postcolonialisme de faire la part belle à une approche discursive et culturelle éphémère, qui dénaturerait les caractéristiques socio-économiques des rapports de pouvoir, tout en réifiant des positions et des narrations identitaires qu’il prétend déconstruire. La deuxième objection de taille émise à l’encontre du postcolonialisme concerne la réification du cadre colonial comme expérience sin- gulière, universelle et totalisante. Lire le monde contemporain par ce prisme le réduit sans nuances. L’épisode colonial dans son abstraction, et non pas dans ses manifestations locales et historicisées, servirait ainsi de grille d’interprétation aussi bien erronée qu’anachronique d’un ensemble de phénomènes excessivement hété- rogènes. La réalité et la temporalité spécifiques des empires s’effaceraient derrière une vision essentialisée qui, au lieu de saisir les discontinuités et les traits distinctifs de chaque contexte, mettrait en scène des continuités faiblement circonstanciées par des données empiriques. L’articulation parfois défaillante entre la dimension descriptive et celle conceptuelle, entre l’approche théorique et les études de cas, semble révéler une difficulté à conjuguer avec rigueur interprétations et observa- tions au sein d’un questionnement inductif. En France, le postcolonialisme est en proie à un double mouvement, qui pourrait sous certains aspects paraître paradoxal : alors qu’il peine à s’imposer dans l’espace académique comme un champ de recherche légitime et à surmon- ter la cristallisation de positions antagonistes, voire conflictuelles, il est, depuis presque une décennie, convoqué, sinon même banalisé, dans l’espace public. À partir de la promulgation de la loi du 23 février 2005, dont l’article 4 abrogé deux ans plus tard se prononçait en faveur de la reconnaissance dans les pro- grammes scolaires du rôle positif de la présence française outre-mer, la contem- poranéité de la « question coloniale » resurgit avec force au sein de la société française. Le terme « postcolonial » se vulgarise dans le débat public pour dési- gner d’une part ce qui relève de l’ordre colonial, et de l’autre ce qui succède au moment colonial. Principalement utilisé sur un mode descriptif – l’immigra- tion postcoloniale, la mémoire postcoloniale, la France postcoloniale –, il sou- ligne le continuum des pratiques d’exclusion et la succession chronologique des périodes historiques, faisant de la colonisation française en Algérie la matrice par excellence des relations contemporaines. Or, quand il n’est pas l’objet d’un usage descriptif, le postcolonialisme est abordé de manière critique au sein d’une polémique fortement clivée : il est remis en question dans sa valeur heuristique, qualifié d’« impasse », ou encore de « carnaval », considéré comme démodé, voire superflu, ou alors, à l’opposé, regretté pour son potentiel non reconnu. Il est au centre d’une production abondante qui explore, trente ans après son essor, les raisons de la résistance hexagonale à accueillir un concept, dont la généalogie est par ailleurs à retracer dans l’œuvre de philosophes français – Derrida, Foucault, Deleuze, Lyotard – largement discutés aux États-Unis.

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