Polyphonie | Lortat-Jacob, Bernard

Polyphonie 1285 Selon les traditions, les polyphonies requièrent deux, trois, quatre et jusqu’à sept parties distinctes (dans le fameux trallalero genovese ) : par exemple, trois pour la paghjella corse bien connue, trois pour les pratiques macédo- niennes, bulgares et, en partie, albanaises, quatre pour la Sardaigne et pour l’Épire ou la Laberia (une province du Sud de l’Albanie), chacune de ces par- ties ayant un nom renvoyant à une fonction musicale bien précise. Telle « tire le chant » (ou le commence), l’autre le « coupe », la troisième l’orne d’une façon particulière, telle autre enfin imite la guitare ou les lamentations des femmes, etc. Les polyphonies balkaniques, quant à elles, ont en commun de se déve- lopper sur un bourdon vocal, qui éventuellement peut être entonné par un ensemble de convives-chanteurs, mais qui, par définition, ne produit qu’une note tenue sur une voyelle semi-ouverte ( ê , par exemple), constituant le degré fondamental du chant. Utilisant souvent de très riches métaphores pour exprimer une norme stylis- tique précise, les terminologies locales caractérisant les genres, les parties et les voix sont très variées. En Sardaigne, les parties musicales sont strictement éta- lonnées du grave à l’aigu et dénommées à partir de leur fonction organique ; elles héritent d’une terminologie d’origine savante ( bassu , contra , ou boghe [« voix »] ou encore, localement contraltu ), ces dénominations ne voulant nullement dire que l’emprunt aux musiques savantes soit en Sardaigne plus marqué qu’ail- leurs. Au contraire : la Sardaigne a développé au cours de son histoire des styles d’une immense variété où, certes, l’accord consonant (base de la musique tonale) domine, mais cet accord est abordé avec un soin tout particulier, grâce à des techniques vocales très sophistiquées. Ici comme ailleurs, ce qui compte, c’est la qualité spécifique du son et l’attention qu’on sait y porter. L’espace du chant polyphonique privilégié est souvent le café, le bar, la petite fête patronale, les mariages, les réunions de parentèle et – lorsque les confréries catholiques ont une forte implantation, comme en Croatie, en Sardaigne ou en Sicile –, l’église. La distinction profane/religieuse n’est pas marquée autant qu’on pourrait le croire. Célébrer un saint à l’église et chanter pour une fiancée souvent imaginaire relèvent certes de dispositions affectives distinctes, mais mettent en cause des processus musicaux en grande partie communs. S’agissant de musique vocale, le texte du chant a bien entendu son impor- tance. Dans la plupart des cas, il s’agit de textes mémorisés, souvent écrits, où l’amour occupe une place centrale (plus rarement l’épique et le politique). Il n’est pas rare que les chants de danse (qui peuvent effectivement servir à animer la danse) se fondent sur des formules choisies pour leurs qualités formelles et leurs connotations grivoises. Il est quelques rares cas de chants polyphoniques impro- visés, mais tout concourt à laisser penser qu’il est difficile d’improviser, surtout collectivement, à la fois un texte et une musique. Il n’en reste pas moins qu’un

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