Poil | Bromberger, Christian

Poil 1279 de « chevelue » et, tout comme les Grecs, ils abhorraient la pilosité non entre- tenue et les vêtements de fourrure des populations septentrionales, la fourrure connotant pour eux l’« inculte » et la barbarie, contrepoints à la civilisation de la polis et de l’ urbs . Les traditions religieuses sont encore venues compliquer ce jeu de différenciation à partir d’un fond cependant commun. « Men with visible hair and married women with invisible hair form the normative landscape of the ancient Mediterranean » (« Des hommes avec une chevelure visible et des femmes mariées avec une chevelure invisible forment le paysage normatif de la Méditerranée antique »), écrit justement Molly Myerowitz Levine (1995, p. 106). La tradition de couvrir la tête des femmes est une commune coutume méditerranéenne, bien antérieure à l’islam. Rappelons, à ce titre, que le mot « noces » vient du latin nuptiae qui désigne l’action de couvrir (la chevelure). Mais, sur ce fond commun qui valorise les signes pileux de la virilité et prône la dissimulation de la chevelure féminine, associée à la séduction, les coutumes religieuses se sont différenciées les unes des autres. Ainsi, un net contraste oppose les sociétés chrétiennes et musulmanes dans le traitement de la pilosité corpo- relle. Le christianisme a prôné le respect de la nature créée par Dieu, les poils ayant, en outre, pour vertu, de cacher les « parties honteuses », tandis que l’épi- lation du pubis et des aisselles est la norme, pour les deux sexes, dans les socié- tés islamiques, les poils qui retiennent les sécrétions (le sang, l’urine, la sueur, les matières fécales) étant considérés comme impurs. On ne saurait, dans ces conditions, effectuer, en islam, ses obligations religieuses couvert de poils, tan- dis qu’à la fin du ii e siècle un père de l’Église comme Clément d’Alexandrie ton- nait contre ceux qui se faisaient épiler. Ce jeu de différenciation a affecté aussi les parties visibles de la tête et du visage. Dans un passage célèbre de l’Épître aux Corinthiens (XI, 3‑10), saint Paul rap- pelle l’obligation faite aux fidèles (masculins) de prier la tête nue : « Tout homme qui prie ou prophétise la tête couverte fait affront à son chef. » Cet usage s’op- pose à celui des juifs et des Romains (dont les pontifes étaient couverts lors des sacrifices). Les Pères de l’Église rappelleront cette exigence de démarcation, non seulement vis-à-vis des juifs mais aussi des Égyptiens et des barbares. Au v e siècle, saint Jérôme prescrit que « nous ne devons ni avoir la tête rasée comme les prêtres d’Isis et de Sérapis, ni laisser pousser notre chevelure, ce qui est le propre des gens débauchés et des barbares ». Pour les clercs latins, « la tonsure ecclésiastique, c’est-à-dire la barbe rasée et la couronne sur la tête », selon les mots du règle- ment conciliaire de Limoges en 1031, s’imposa au cours du Moyen Âge. Cette discipline franchit les siècles, avant de s’essouffler, jusqu’à une période récente : l’interdiction de porter la barbe, à laquelle échappaient les moines franciscains, n’est plus mentionnée dans le Code de droit canonique de 1917 (les mission- naires ne la respectaient déjà plus depuis des années) et l’obligation de la tonsure,

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