Poésie | Baquey, Stéphane

Poésie 1272 personne, autrement dit en principe non mimétique, même si l’on peut s’inter- roger sur le statut réel ou fictionnel du « sujet lyrique », et régi par une organi- sation métrico-rythmique, entretenant des rapports plus ou moins étroits avec l’oralité, voire avec le chant et la musique. Or il est certain que cette définition ne peut avoir un statut pleinement déterminant. Selon les contextes, il faudra en retrancher certains éléments, voire tous les éléments. Elle n’a d’autre fonc- tion, pour une étude du discours poétique dans un espace méditerranéen où les cadres généalogiques ouest-européens de sa formulation ne sont pas en tout lieu et en tout temps pertinents, que d’indiquer un prototype, très largement lié à une mise en perspective postromantique. Le foyer gréco-latin, foyer prestigieux localisé dans l’espace méditerranéen, à partir duquel se sont constitués les renaissances et les classicismes européens, n’a que tardivement offert des modèles proprement lyriques aux langues néola- tines. Et cela n’a pas été sans quelque embarras théorique, l’ Art poétique d’Horace ne remédiant pas sans peine aux silences de la Poétique d’Aristote. Les modèles principaux sont les lyriques grecs archaïques (Pindare, Sapho, Anacréon), le plus souvent par révérence lointaine, et les poètes latins (surtout, parmi eux, Horace). Les moments décisifs de recréation sont associés, en Italie, en Espagne et en France, autrement dit dans les langues romanes de l’espace méditerranéen, à Pétrarque, au xiv e siècle, puis à Garcilaso et à Ronsard et Du Bellay, au xvi e siècle. Cette appropriation savante de l’Antiquité s’est accompagnée d’une profonde transfor- mation des genres poétiques médiévaux en lesquels étaient apparues les lyriques en langues romanes, depuis le début du xii e siècle au moins. Les attitudes ont cependant varié, de l’intégration (plutôt en Italie et en Espagne) à l’exclusion (surtout en France). L’exemple d’intégration réussie le plus évident est celui du sonnet. Apparu à la cour de Sicile au xiii e siècle, rapidement présent en proven- çal puis en hébreu, il a véritablement été institué par le Canzoniere de Pétrarque et s’est diffusé au xvi e siècle en espagnol, catalan, français, anglais… S’est ainsi mise en place une translatio unidirectionnelle qui déplace le legs gréco-latin, tout en procédant tantôt à une réappropriation, tantôt à une occultation des modèles médiévaux. Ce legs, reçu dans l’Europe romane et plus largement occi- dentale, était par là même coupé de tout lien autre que mémoriel et circonscrit aux humanités gréco-latines avec l’espace méditerranéen. C’est qu’ailleurs s’af- firmait la puissance ottomane, véhiculant une autre tradition poétique domi- nante, qui, elle, était issue de la péninsule Arabique, avant de se fondre à d’autres sources culturelles. La formation de la poésie européenne et, plus précisément, des poésies de langues romanes, repose ainsi sur une appropriation d’une partie du passé méditerranéen. Mais elle s’affirme aussi par une exclusion, vigoureu- sement défendue encore chez Pétrarque, se présentant par la suite comme une altérité évidente, sans qu’il soit désormais nécessaire de s’en défendre : celle de

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