Poésie | Baquey, Stéphane

Poésie 1271 des comparatismes, comme une frontière, ou comme un ensemble de frontières, séparant des espaces et des temporalités culturelles jugées peu commensurables. L’étude de la poésie en Méditerranée repose ainsi sur un primat géographique et sur une topologie des frontières culturelles. Dès lors, pour s’assurer empiriquement de sa possibilité, elle se doit de com- mencer par un repérage d’ensembles de faits culturels saillants qui donnent pertinence à l’échelle transrégionale choisie. Les ensembles en question, pour répondre aux conditions de l’enquête, doivent avoir pour caractéristique d’en- trer en déplacement dans une partie au moins de l’espace méditerranéen, voire au-delà de cet espace. L’analyse se porte dès lors de manière privilégiée sur les mutations formelles, sémantiques et fonctionnelles que connaissent les éléments discursifs transférés lors de ces passages de frontières. L’enquête implique aussi que l’on accepte que le discours appelé « poésie » soit en chaque situation par- tiellement redéfini : dans ses traits génériques et, plus largement, sémiologiques, en particulier dans le rapport qui y est mis en œuvre entre oral et écrit, dans son mode d’inscription culturelle, ceci sans visée normative privilégiant la seule culture savante ou dominante, et dans son rapport avec différentes sphères de la vie sociale avec lesquelles il peut entretenir des rapports variables d’autono- mie ou d’hétéronomie, qu’il s’agisse du religieux, du politique, ou encore d’ac- tivités quotidiennes, d’événements rythmant la vie individuelle ou collective. C’est sans ambition d’exhaustivité que l’on peut tenter de relever quelques-uns de ces ensembles de faits saillants, légitimant la perspective méditerranéenne. Car ici le point de vue importe dans la construction de l’objet. Il est vraisemblable que quiconque entreprendra l’enquête péchera par omission ou parti pris, faute de pouvoir englober la richesse des contrepoints existants. L’horizon d’une telle étude ne peut donc être que dialogique. La Méditerranée poétique a plusieurs lieux de naissance et plusieurs devenirs, qui chacun contribuent à former, au bout du compte, un écheveau complexe de représentations de la ou des Méditerranées. Une même image ne naîtra pas, ni une même expérience de la frontière, chez qui le lieu privilégié est la Grèce antique, al-Andalus ou le Paris du xix e siècle. Le foyer grec, puis latin, pose d’emblée le problème de la détermination générique de la poésie. Le paradoxe est qu’Aristote, dans sa Poétique , a avant tout considéré les genres mimétiques, l’épopée et la tragédie. La poésie lyrique (liée à la musique) puis le lyrisme (où l’énonciation est centrée sur le « sujet lyrique ») n’ont fini, quant à eux, par tendre à englober le tout de la poésie qu’au xix e siècle, après une longue évolution, depuis la relecture du texte aristotélicien en Italie au xvi e siècle jusqu’au romantisme. Au même moment, la perception générique tendait à exclure de la poésie les modes narratifs et dramatiques, la confinant dans un cadre discursif toujours plus étroit. La poésie tend ainsi à se définir, aux yeux des contemporains, comme un discours énoncé en première

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