Nettoyage ethnique | Cattaruzza, Amaël; Sintès, Pierre

Nettoyage ethnique 1094 Le nettoyage ethnique : une définition On pourrait trouver de multiples exemples contemporains illustrant le lien entre territoire et identité dans les conflits. Les cas de nettoyage ethnique, ou modifi­ cation coercitive de peuplement, se sont multipliés au xx e siècle. Dans ces cas, l’identité nationale ou ethnique est instrumentalisée en désignant un adversaire intérieur (la minorité, l’étranger, etc.), qui devient alors indésirable sur le territoire identitaire. Le nettoyage ethnique va consister à « nettoyer » le territoire consi- déré, c’est-à-dire à faire disparaître toute trace des éléments indésirables (expul- sions des groupes minoritaires ou massacres, destructions des lieux mémoriels et symboliques attachés à ces groupes, occupation ou destruction des maisons, etc.). Le nettoyage ethnique est donc à la fois un processus d’expulsion violente de populations pour des raisons identitaires, mais aussi une stratégie visant à la durabilité de cette expulsion sur le long terme. Les procédés pour empêcher ou freiner les retours sont divers : destructions des logements ou repeuplement, politique de ségrégations, intimidations, violences, etc. Stéphane Rosière rattache la question du nettoyage ethnique à celle de l’État territorialisé, en particulier dans le cas de l’État-nation. En effet, avec l’émer- gence de ce nouveau paradigme étatique, la volonté d’homogénéisation des populations peut se faire plus prégnante, du fait des nationalismes contempo- rains qui se réfèrent, selon l’expression d’Ernest Gellner (1989, p. 11), à « un principe politique qui dit que l’unité politique et l’unité nationale doivent être congruentes ». Ce constat, que Gellner applique aux nationalismes du xix e siècle, prend un sens particulier à la fin de la Première Guerre mondiale, avec la mise en place dans la reconstruction de l’Europe d’une « politique des nationalités », inspirée du principe du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » de Wilson, qui conforte l’idée d’une marqueterie d’États monoethniques. Dans ce cadre, l’homogénéité de peuplement a pu devenir pour l’État une double condition de sécurité et de légitimité. L’État-nation induirait l’adaptation de ses populations soit par l’intégration forcée, soit par l’exclusion, voire le nettoyage, de tous corps perçus comme extérieurs (Rosière, 2005a). Ces logiques de modification du peu- plement peuvent être engagées dans plusieurs situations : dans le cas d’une créa- tion d’États (statogenèse), de leur défense (guerres interétatiques, lutte contre le sécessionnisme) ou de visées expansionnistes. La capacité de l’État d’agir sur la composition de sa population s’accroît avec les progrès de son administration. Rosière (2005a) identifie trois procédés au cœur de cette intervention adminis- trative sur les populations : l’homogénéisation ethnique (par le biais de l’école ou des services de l’État), l’ingénierie ethnique (capacité d’agir spatialement sur les groupes ethniques) et le stress ethnique (pression d’ordre législatif ).

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