Nettoyage ethnique | Cattaruzza, Amaël; Sintès, Pierre

Nettoyage ethnique 1095 Ainsi, le nettoyage ethnique serait donc à replacer dans un processus plus large, lié à une certaine conception de l’État-nation issu du xix e siècle, suppo- sant un État monoethnique (quand bien même cet « idéaltype » est, en réalité, très exceptionnel, la grande majorité des États étant pluriethniques). Pourtant, ce type de processus est à distinguer d’autres types de violence politique et de crime de masse par ses caractéristiques. Il est ainsi différent du génocide, qui désigne la volonté d’éradication d’un peuple dans son ensemble. De plus, si le génocide vise le peuple, le nettoyage ethnique vise le territoire, l’homogénéisa- tion ethnique d’un espace circonscrit et délimité. C’est bien cette politique de nettoyage ethnique qui a prévalu dans les conflits yougoslaves en Croatie et en Bosnie-Herzégovine (1991‑1995) et plus tard au Kosovo (1999), conflits pour lesquels l’expression a été en quelque sorte inventée et validée. Le nettoyage ethnique dans les conflits yougoslaves Les guerres en Croatie et en Bosnie-Herzégovine n’ont pas été des guerres de front traditionnelles où des armées se font face pour conquérir des territoires. La différence essentielle réside dans le fait que les principaux protagonistes étaient déjà sur place au début du conflit. Rappelons que l’architecture de la Yougoslavie titiste reposait sur un triple équilibre : ethno-politique, territorial, économique. En clair, la Yougoslavie était une fédération regroupant six peuples constitutifs (narodi) et des peuples non constitutifs (narodnosti) égaux en droit, six répu- bliques fédérées, toutes multiethniques (équilibre territorial), et une redistribu- tion économique y était organisée au niveau fédéral des régions les plus riches vers les plus pauvres. Mais ce modèle, en crise dès la fin des années 1970, éclate au début des années 1990 pour plusieurs raisons : les disparités socio-économiques persistantes, l’instauration du multipartisme et l’émergence des partis nationa- listes créant une concurrence nouvelle entre groupes ethniques dans leur répu- blique de résidence, l’indépendance en chaîne des anciennes républiques faisant apparaître des désaccords profonds entre partis nationalistes. À l’origine des conflits, l’essoufflement du système fédéral yougoslave rongé par les crises économiques, les affaires de corruptions et de malversations dans lesquelles est impliquée une partie des cadres communistes, facilitant l’instru- mentalisation de la cause nationale par les anciens et nouveaux partis politiques issus de l’introduction du multipartisme en 1990 devant la perte progressive de légitimité des classes dirigeantes. Malgré les tentatives de réforme du système politique fédéral proposées par le Premier ministre Ante Marković, les discus- sions entre républiques sont un échec et aboutissent le 23 décembre 1990 et le 19 mai 1991 aux référendums d’indépendance slovène et croate, malgré les

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