Montagne | Albera, Dionigi

Montagne 976 Montagnes imaginaires Dans la pensée grecque de l’Antiquité, se dessine une opposition nette entre oros et polis (Buxton, 1992). La montagne (oros) est opposée à la plaine cultivée et, surtout, à la ville, lieu de la vie humaine et de la civilisation. La montagne, c’est l’espace de l’altérité et de la sauvagerie, c’est le monde des origines, ancestral et pri- mitif, extérieur à la terre intensément anthropisée, aux lieux protégés, accueillants et rassurants de l’écoumène. Dans l’ Odyssée , les Cyclopes habitent les grottes sur le sommet des montagnes, et sont dépourvus d’assemblées et de lois (IX, 112‑114). Dans le discours que lui prête Arrien ( Anabase , VII, 9, 2‑3), Alexandre rappelle l’action civilisatrice de son père sur les habitants de la Macédoine : « Philippe, donc, vous ayant trouvés errants, indigents, la plupart vêtus de peaux de bêtes, et faisant paître sur les pentes des montagnes de maigres troupeaux […] vous a donné des chlamydes à porter, à la place de vos peaux de bêtes, vous a fait des- cendre des montagnes dans les plaines […] ; il a fait de vous des habitants des cités, vous permettant de vivre dans l’ordre, grâce à de bonnes lois et à de bonnes coutumes. » Certaines activités, comme l’élevage et la chasse, deviennent emblé- matiques du milieu montagnard. Cette réalité « autre », extérieure, est chargée de sacralité. C’est le lieu des hiérophanies, des métamorphoses, des hybridités ; ici habitent les dieux (comme sur le mont Olympe), et les humains peuvent les rencontrer. La montagne possède une énergie dangereuse et même destructrice, mais parfois aussi bénéfique et maïeutique (comme le suggère l’exemple des centaures, ces montagnards mythiques, mi-hommes, mi-animaux : ils sont les symboles de l’ivresse et de la concupiscence, mais, dans le cas de Chiron, maître d’Achille, ils peuvent également avoir un rôle éducatif ). À travers une lecture oppositionnelle, la montagne est ainsi perçue en contraste avec ce qui n’est pas montagne (la plaine, la ville). De cette façon, la montagne devient un espace liminal, ambivalent, initiatique, externe par rapport au monde intime de la vie humaine sédentaire, de l’espace pacifié de la citoyenneté. Cette conception de la montagne n’appartient pas uniquement au monde grec. Les associations symboliques présentes dans la culture grecque se retrouvent dans la perception de la montagne par les Romains et rejaillissent dans les civilisations successives, en se chargeant de contenus différents, issus des traditions judaïque, chrétienne et musulmane. Les religions monothéistes continuent de faire de la montagne un lieu de la manifestation divine. Dieu apparaît à Moïse sur le mont Sinaï pour lui révéler les dix commandements, tandis que le mont Horeb est le lieu de la rencontre d’Élie avec Dieu. Dans le Nouveau Testament, la montagne est également un endroit privilégié de la révélation : il suffit d’évoquer, à cet égard, le « Sermon de la montagne » ou l’épisode de la Transfiguration (qui se

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