Montagne | Albera, Dionigi

Montagne 977 produit « à l’écart, sur une haute montagne » (Matthieu, xvii, 1 et Marc, ix, 2). Jésus se retire souvent sur la montagne pour prier (notamment sur le mont des Oliviers), et c’est sur la montagne qu’il résiste aux tentations du diable. C’est éga- lement sur le djebel al-Nour, près de La Mecque, que le prophète Muhammad reçoit la première révélation du Coran, dans la grotte de Hira. Ajoutons qu’il s’agit souvent, dans tous ces cas, d’une montagne archétypale, presque abstraite, dépourvue des caractéristiques qui en feraient une montagne au sens géographique du terme. Aussi bien Delphes que le mont Moriah et cer- taines montagnes du Nouveau Testament ne sont, en réalité, que de légères élé- vations. Mais elles se transforment dans la représentation qui en est donnée. Quelques exemples ? La Pietà de Cosmè Tura (musée Correr, Venise), exécutée vers le milieu du xv e siècle, fait du Calvaire une montagne escarpée, un véritable pic rocheux, avec les trois croix au sommet. Un paysage aux traits fortement mon- tagnards apparaît, à la même époque, dans le tableau de Fra Angelico Le Sermon sur la montagne (San Marco, Florence). Pour les mystiques musulmans, l’ascen- sion de la montagne est le symbole de la quête spirituelle de Dieu. La même association se manifeste dans le christianisme : mentionnons, parmi de nom- breux exemples, la montagne du purgatoire de la Divine Comédie et La Montée du Carmel de Jean de la Croix. Se dessine ainsi un immense palimpseste, superposition d’écritures qui s’in- fluencent et gardent la même orientation de base. Espace primordial et sacré, la montagne est externe par rapport au monde de la vie humaine ordinaire. L’alté­ rité, dans l’espace et dans le temps, attribuée à la montagne se prête à l’ambiguïté et à des interprétations divergentes, surtout lorsqu’il est question de ses habi- tants. La montagne devient alors synonyme d’arriération, d’isolement, d’ar- chaïsme, de violence primitive ; ou, dans un esprit plus bienveillant, elle apparaît comme le conservatoire des valeurs d’antan, le bastion d’une vie vertueuse, saine et frugale, opposée à la décadence et à la corruption des mœurs dans les villes. L’exemple de l’Arcadie est éloquent de ce point de vue. Cette région monta- gneuse du Péloponnèse est perçue comme un lieu d’ensauvagement, marqué par la présence de sacrifices humains et de la lycanthropie dans certaines légendes antiques, mais devient un lieu bucolique par excellence – peuplé de nymphes, de bergers charmants, évoluant dans des paysages riants où murmurent les fon- taines – dans une production poétique étalée sur des millénaires (de Théocrite à Virgile, et puis Sannazaro, le Tasse, Cervantes, Lope de Vega, Métastase…). La découverte de la montagne par les élites européennes, entre Lumières et romantisme, montre la même ambiguïté, avec une oscillation entre sa percep- tion comme locus horribilis , à l’écart des courants de civilisation, peuplé de cré- tins et de goitreux, et sa caractérisation comme un lieu innocent, pastoral, sain,

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