Modernité | Burke III, Edmund

Modernité 951 bien attestées (culturelles, économiques et politiques) entre les civilisations de l’Est de la Méditerranée et celles de la vallée de l’Indus, l’historien Ross E. Dunn a suggéré qu’il pourrait être utile d’imaginer l’essor des civilisations classiques de l’Antiquité dans un espace suprarégional qu’il nomme « Indo-Méditerranée ». La Méditerranée est un site important pour la recherche et la réflexion sur la conjoncture actuelle. Il s’agit également d’un lieu idéal pour s’atteler à la tâche qui consiste à comprendre l’ère moderne en se plaçant dans une perspective mondiale. La modernité a-t‑elle été une création occidentale ? Ou s’est-il agi d’un processus mondial dont la première instance est survenue en Europe de l’Ouest ? L’urgence de cette tâche apparaît clairement au regard des ravages que des nationalismes ont provoqués dans un passé récent, et de l’essor de différentes formes d’islamisme à l’époque actuelle. Alors que la proportion de musulmans progresse régulièrement dans la nouvelle Europe, la nécessité d’une « Europe » qui intègre généreusement les parties sud et est de la Méditerranée (voire cer- tains territoires d’Afrique intérieure) se fait de plus en plus sentir. Cependant, en raison de la persistance du racisme en Europe et de l’héritage colonial, le projet politique, qui consiste à intégrer la Méditerranée à la nouvelle Europe, est à l’ar- rêt. Du point de vue arabe, les soupçons à l’égard des motifs qui pousseraient l’Europe à appeler de ses vœux une nouvelle Méditerranée (et la persistance du racisme européen évoqué plus haut, ainsi que des aspirations hégémoniques européennes) ne sont que trop manifestes. Si la Méditerranée doit n’être qu’une « zone tampon » pour l’Europe, il sera difficile de trouver des partenaires arabes et musulmans enthousiastes. Au regard de cette histoire antérieure, penser à des « modernités européennes », du point de vue méditerranéen, semble une entre- prise chimérique. Cela peut sembler soit une tentative naïve pour nier l’histoire (celle du colonialisme), soit un effort cynique pour annexer les histoires de la Méditerranée musulmane moderne au récit orienté vers le progrès de la nou- velle globalisation européenne. Le projet des modernités méditerranéennes sup- porte un lourd passif historique. Un problème central, lorsque l’on écrit sur la Méditerranée, est posé par le fait que son histoire a été principalement écrite par des Européens du Nord. Leur approche des cultures et populations de la région était habituellement détermi- née par des attentes et des idées préconçues. Ainsi, le problème de l’orientalisme est plus englobant qu’on a pu l’imaginer précédemment. Ce ne sont pas seule- ment les habitants de la Méditerranée musulmane qui étaient inspectés à travers le prisme du pouvoir, et pas seulement ceux qui se trouvaient sous domina- tion coloniale. Comme l’avance Jane Schneider (1998), le prisme du pouvoir a considérablement déformé également la connaissance de l’Italie du Sud. Le même propos vaut aussi pour le Sud de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce. En outre, une fois internalisé, le discours orientaliste devient une démarche

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=