Modernité | Burke III, Edmund

Modernité 952 d’autoflagellation à la recherche de « ce qui a mal tourné ». Dans l’ensemble de la région, des intellectuels locaux ont été obsédés par les domaines où leur société a échoué dans ses tentatives d’égaler les modèles de modernité à l’œuvre en Europe du Nord. Les histoires orientalistes opèrent comme si l’« Occident » était voué à atteindre la modernité grâce à ses accomplissements culturels supé- rieurs (les Grecs, la science, la démocratie, etc.) tandis que les autres sociétés, du fait de leur culture inférieure, restaient piégées dans le règne de la tradition, lais- sant le Sud (n’importe quel Sud, au choix) coincé dans le passé et la stagnation. À l’opposé des modèles de modernité britannique et français, la Méditerranée apparaît comme un espace de différence. Une telle approche permet de poser de nouvelles questions. Par exemple, si le train de réformes français a été adopté à la pointe des baïonnettes (françaises) en Italie et en Espagne, cette entreprise est-elle de nature coloniale ? Ou, si les mêmes réformes politiques ont été adop- tées volontairement par l’Empire ottoman et l’Égypte (par le biais des Tanzimât , « réformes »), pourquoi ces cas sont-ils considérés comme des interventions colo- niales comme le pensent certains (Mitchell, 1988) ? Si l’on tient compte du fait que la Méditerranée a été de tout temps profondément imbriquée dans le marché mondial, en quoi sa situation diffère-t‑elle à l’époque moderne ? D’un point de vue global, quand la croissance industrielle soutenue a-t‑elle commencé à différen- cier l’Europe du Nord d’autres parties de l’Eurasie (y compris la Méditerranée) ? Une histoire comparative de la modernité en Méditerranée permet de resituer l’expérience du colonialisme dans le récit plus large de l’hégémonie de l’Europe du Nord sur la région dans son ensemble. La domination de l’Italie du Nord sur le Mezzogiorno constitue-t‑elle un exemple de colonialisme ? Ou, compte tenu des caractéristiques politiques et économiques similaires partagées par les socié- tés du Sud de la Méditerranée, était-il si important que certains États fussent des colonisateurs et d’autres des colonisés ? Décidément, une perspective globale sur l’histoire de la Méditerranée moderne a beaucoup à offrir. Les modernités méditerranéennes : une approche historique profonde Afin de comprendre pourquoi la région méditerranéenne dans son ensemble (et pas seulement ses parties musulmanes) s’est trouvée économiquement mar- ginalisée tout au long du xvi e siècle, il convient de replacer la région dans l’his- toire profonde de l’Eurasie. Dans une telle perspective, une ressemblance de famille émerge au sein de l’Eurasie, de la Chine à la Méditerranée, au cours du millénaire qui a débuté autour de 1 500 ans av. J.‑C. et qui a vu les origines

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