Millet | Aymes, Marc

Millet 947 vaste extension, en Méditerranée et au-delà – du Caucase au Maghreb, de la mer Noire à la péninsule Arabique. À une ère, ensuite : de la prise de Constantinople (1453) à la chute du sultanat ottoman (1922). Sur ce double axe spatial et temporel, la millet est définie en tant que cadre régissant les rela- tions des autorités communautaires chrétiennes, arméniennes et juives avec l’administration ottomane. Il ne s’agit donc plus seulement d’une foi ou d’une confession commune, mais d’un système administratif institutionnalisé, carac- térisé par la reconnaissance d’une autonomie de gestion accordée à certains groupes confessionnels au sein de l’ensemble politique ottoman. C’est là ce que d’aucuns ont proposé d’appeler « le système de millet  ». Un temps, ce système fut considéré comme coextensif à la gouvernementalité impériale ottomane : instaurée dès 1453, l’administration par millet interposée aurait duré le temps que dura l’Empire ottoman, en privilégiant d’abord les chré- tiens grecs orthodoxes, les Arméniens et les juifs, puis (au cours de la seconde moitié du xix e siècle) en se généralisant à plusieurs autres groupes religieux (pro- testants notamment). Benjamin Braude a néanmoins souligné, en s’employant à mettre en évidence le caractère largement rétrospectif des « mythes fonda- teurs du système de millet  », que celui-ci était moins ancestral qu’il n’y paraissait (Braude, 1982 ; Papademetriou, 2015). Ainsi l’émergence du système d’auto- gestion partielle appelé millet a-t‑elle pu être imputée aux transformations du régime fiscal de l’Empire survenues au xviii e siècle, plutôt qu’aux conquêtes du xv e siècle : à un « système d’impôt de quotité  » se substitue alors un « sys- tème dit de répartition , où c’est le produit final qui est déterminé au départ et non la contribution de chacun » (Veinstein, 1999, p. 92). Le soin d’établir celle-ci à partir de celui-là supposait la médiation locale de « notables » (Hourani, 1968) censés agir au nom de groupes ou de corps sociaux délimités. Dans ces condi- tions, on comprend mieux comment des hommes de Dieu se transformèrent en administrateurs ottomans, et des collectivités éparses en « communautés » sup- posées homogènes. Davantage que la marque d’un confessionnalisme ottoman immuable, la millet se trouve ainsi incorporée à la praxis de l’économie politique impériale. Une trouvaille fiscale, plutôt qu’une catégorie religieuse. L’ère et l’aire se recoupent ici encore. Car l’effectivité du « système de millet  » est discutée aussi bien dans l’espace que dans la durée. Il s’agit de « savoir si et dans quelle mesure on interprétait une telle millet comme une corporation s’étendant dans l’Empire entier (c’est-à-dire comme une communauté religieuse ayant le même statut à travers l’Empire, et par conséquent ayant partout droit à la même protection) » (Ursinus, 1993, p. 63). Question d’uniformité donc, plutôt que d’étendue. La tendance actuelle – à l’instar des études sur les corpo- rations d’artisans – est à se défier de la généralisation. L’hypothèse privilégiée

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