Métissage | Bonniol, Jean­-Luc

Métissage 926 si, répondant en cela à une demande sociale évidente, on décide de conférer au terme « métissage » ce supplément de signification. Si le terme « métissage » rencontre aujourd’hui un tel succès, c’est qu’il répond sans doute à un besoin de nommer des réalités que nous ne faisons pour l’ins- tant que pressentir. Décapé de ses connotations négatives, il apparaît, par rap- port à des termes tels que « acculturation » et « syncrétisme », comme porteur de l’image d’un lien plus serré, à l’instar de l’union des deux sexes dans la pro- création… Son usage implique en outre une théorisation plus ample, avec la prise en compte de la création, à partir du mélange, de quelque chose de neuf, produit fondamentalement nouveau, irréductible à la somme de ses compo- santes, comme le métis qui naît sous le signe incertain de l’aléatoire et de l’im- prévisible, différant de chacun de ses géniteurs… Il renvoie également à l’idée d’un processus au long cours, qui se rejoue à chaque génération au travers des choix que les individus peuvent assumer face à une diversité persistante, circu- lant entre les cultures et les modes de vie, franchissant des frontières poreuses et flexibles, et accédant par là à des « entre-deux-mondes »… Ce niveau de sens inédit est précisé par un nouveau concept, celui de « créoli- sation ». Le terme « créole » a d’abord eu une valeur catégorielle, lorsque a émergé la nécessité de différencier ces hommes natifs du Nouveau Monde, mais non indigènes, par rapport à ceux qui continuaient à venir de l’Ancien Monde. Le terme est sans doute apparu dans les milieux de la traite portugaise, qui alimentait à partir de l’Afrique l’ensemble des colonies ibériques : dérivant du verbe críar , qui signifie élever, il désigne d’abord l’esclave né chez un maître, par opposition au bossale , né en Afrique. C’est dans les années 1560 qu’il commence à être éga- lement appliqué, dans les colonies espagnoles, aux Blancs nés dans la colonie et y étant établis, face aux Européens de passage. C’est par une première extension sémantique que le terme a pu revêtir, dès cette époque, une dimension cultu- relle, en étant référé à des attitudes ou à des usages caractéristiques de ceux qui étaient ainsi désignés, mettant davantage l’accent sur l’idée d’adaptation, voire d’acclimatation, à un nouveau milieu que sur celle de mélange. Et l’habitude a été prise au xviii e siècle de désigner les « patois » des îles comme « créoles », offrant par là à la linguistique, qui se dote pour l’occasion du néologisme « créo- lisation », un paradigme idéal pour penser la constitution de langues nouvelles… C’est dans les années 1950 que les sciences sociales s’emparent du terme en le faisant dériver vers l’ensemble du domaine culturel et en l’appliquant de manière spécifique aux sociétés de plantation, esclavagistes et post-esclavagistes, du Nouveau Monde, caractérisées par une diversité fondatrice et par la centralité du processus de création culturelle. Malgré les souffrances fondatrices nées de l’extermination des Amérindiens, puis de la Traite et de l’esclavage, cette donne culturelle, tout à la fois diverse et en perpétuelle innovation, se déploie, du fait

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