Madrague | Buti, Gilbert; Faget, Daniel

Madrague 813 Toutes ces opérations se déroulent sous l’autorité d’un capitaine de madrague ou raïs ( reis ou reys ) ; ce nom, qui signifie « chef » en arabe, désigne cepen- dant, dans le monde barbaresque, un patron de bâtiment de mer et s’oppose au kapudan qui définit alors le capitaine d’un vaisseau d’une flotte. Le raïs , gardien de savoirs anciens transmis au fil des générations, dispose d’un fort ascendant sur les pêcheurs qu’il recrute. La mise en place d’une madrague mobilise une quinzaine de personnes, mais après la calaison, une dizaine de pêcheurs seulement, postés au large ou sur un promontoire situé à proximité, se chargent de la surveillance, guettent l’arrivée des scombridés et la font connaître à terre par une série de signaux : cris, sonne- rie, coup de fusil, fumée. Aussitôt l’alerte donnée, des pêcheurs, à bord de petites embarcations, s’élancent vers la madrague et s’efforcent de diriger les poissons vers la queue du dispositif afin de les canaliser vers les différentes chambres de l’ île . Selon le voyageur français Millin (1759‑1818), il serait même d’usage, en certaines localités provençales, d’attacher « sous la barque une tête d’âne pour attirer les thons » ! Une fois que les thons se trouvent dans l’enceinte de la madrague, le raïs essaie d’évaluer la quantité afin de donner ou non le signal de la capture. Pour ce faire, et toujours selon ce même voyageur du début du xix e siècle : « […] il répand quelques gouttes d’huile sur la mer et se couvre entièrement la tête avec une toile pour mieux voir s’il y a des poissons […] après avoir procédé à cet examen il fait savoir, par un signal convenu […] si la pêche est heureuse. Quand elle est abondante, d’autres signaux répètent l’avis : alors tous les canots sont mis à la mer ; une foule de curieux les remplissent ; la madrague est entourée ; l’air retentit d’acclamations et de chants joyeux mêlés au son des instruments. » Des dizaines hommes, à bord d’embarcations venues près de la partie finale de la madrague, relèvent peu à peu le fond de la dernière chambre ou corpou et la hissent à fleur d’eau. Les thons, qui sentent l’eau leur manquer, s’agitent frénétiquement. Commence alors la matance ou mattanza , c’est-à-dire la cap- ture des thons, à la main ou à l’aide de crocs, et leur mise à mort alors que le sang se répand dans l’arène aquatique. Des invitations ont parfois été lancées pour assister à cette ultime scène que semble priser plus d’un spectateur. Au xviii e siècle, Duhamel du Monceau (1700‑1782) décrit ce « spectacle admirable […] les efforts considérables des thons pour se défendre contre ceux qui veulent les prendre […] et ces pêcheurs qui se jettent dans le filet où sont les poissons pour les assommer ou les saisir à force de bras lorsqu’ils ne sont pas trop gros ». Au même moment, le peintre avignonnais Joseph Vernet (1714‑1789) repré- sente cette pêche en fixant sur la toile le spectacle d’une matance au large du port de Bandol (1754). Deux siècles plus tard, Roberto Rossellini (1906‑1977)

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