Madrague | Buti, Gilbert; Faget, Daniel

Madrague 812 trop resserrée, ni trop ouverte non plus au souffle des vents […]. Alors, sur la cime élevée d’une colline monte un homme expérimenté, chargé de guetter l’arrivée des thons : il doit signaler l’approche des diverses bandes, leur nature et leur force, et prévenir ses camarades. Aussitôt, on déploie au sein des eaux tous les filets dont la disposition ressemble à celle d’une ville… On fait ainsi une pêche excellente et vraiment merveilleuse. » Il est certes difficile d’affirmer que ces filets, « dont la disposition ressemble à celle d’une ville », constituent une madrague. Cependant, il n’en est pas moins vrai que la présence importante de thons implique l’utilisation de techniques de capture très structurées et collectives que l’on retrouve dans l’utilisation des pêcheries fixes immergées, utilisées pour la capture des thons (scombridés) et que l’on désigne sous le nom de madrague. Cet engin de pêche se compose d’une vaste enceinte de filets (l’ île ) de taille variable, divisée en plusieurs comparti- ments ou chambres. Les parois ou murailles du filet sont maintenues à flottai- son par des morceaux de liège, arrachés aux chênes des forêts littorales – comme celles du massif des Maures en Provence orientale –, et en position verticale par des pierres (baudes) ou des ancres métalliques. Le parc sous-marin, long de 200 à 800 m et large de 35 à 50 m, couvre une surface de 2 à 4 ha, superficie qui peut atteindre parfois, comme à Ventilegni, à l’ouest de Bonifacio en Corse, 1 km 2 , voire davantage. Le parc, placé par 15 à 20 m, voire 45 m de fond, est relié à la côte par un filet ou queue , long de 150 à 1 500 m, pour faire barrage au pois- son et le guider vers l’entrée du labyrinthe de mailles. Le poisson pénètre ainsi dans une succession de poches : le grandou , le gardy , le pitchou et, enfin, la fosse ou chambre de la mort subdivisée en trois pièces plus petites : le plan , le gravi- celli et le corpou aux mailles serrées. Les pêcheurs placent les madragues sur la route des migrations annuelles des thons, avec de légères variantes observées du xvii e au xx e siècle, comme le montrent les états des postes en activité, dressés pour diverses autorités portuaires. La campagne de pêche, inscrite entre la mise en place de la madrague et son retrait, s’étale en général du début du printemps à celui de l’automne, soit pendant la période qui correspond à la migration des thons, avec un temps fort à la fin de l’été. Les pêcheurs calent les madragues en février-mars et les retirent en général en octobre. Ces opérations, qui durent 8 à 12 jours, doivent être renouvelées en cas d’incidents mettant à mal le dispositif, comme tempête ou accrochage des filets par un navire. Des offrandes, précédées de la bénédiction des postes, accompagnent ces deux temps forts de la campagne de pêche. Dans l’exercice du métier, les travailleurs de la mer appellent éga- lement de multiples manières – prières, dons des premiers thons capturés – la protection céleste.

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