Madrague | Buti, Gilbert; Faget, Daniel

Madrague 814 fixe ce moment sur la pellicule en ouverture de son film Stromboli (1950) et Salvador Dalí (1904‑1989) le choisit dans son interprétation de La Pêche au thon (1967). Les propriétaires des madragues, ou tout au moins ceux qui ont reçu le privi- lège ou concession d’exploiter le littoral, ne mettent pas eux-mêmes directement en valeur les outils de production, mais afferment les différents postes de pêche. Les conditions du fermage – durée du bail, entretien du matériel, montant du fermage, répartition des profits et pertes – sont enregistrées devant notaire ; il est parfois stipulé que les fermiers sont autorisés à « sous-fermer à leur profit tel ou tel poste ». Filets, embarcations, liège, bouées, ancres, personnel, magasins pour entreposer le matériel et effectuer une partie de la commercialisation du poisson exigent de lourds investissements et de fréquentes mises de fonds. Aussi n’est-il pas surprenant de trouver parmi ces fermiers des « notables » locaux – bour- geois, marchands, magistrats – souvent unis par des liens familiaux ; ceux-ci forment une « compagnie » ou « société de madragaïres » et placent à sa tête un fermier général ou directeur des madragues qui en assure la gestion. La réparti- tion des profits et des pertes s’effectue selon le modèle en vigueur dans l’exploi- tation des bâtiments de mer dans la mesure où chaque fermier dispose dans la compagnie ou colonne (selon l’usage génois) d’un nombre de parts, dites aussi quirats, proportionnel à son investissement. Les profits de ce type de pêche résultent de l’importance et de la régularité des prises effectuées en relation avec les migrations des scombridés (thons, pélamides et bonites) en Méditerranée, mouvements déjà bien connus des pêcheurs grecs antiques ainsi que le mentionne Aristote. Ces migrations peuvent être capricieuses comme le révèlent l’irrégularité globale des prises et les inégalités observées selon les postes de madragues, certains emplacements remplissant de meilleures condi- tions pour la pêche des poissons migrateurs (profondeur, température, courant). Pour rendre compte de ces captures irrégulières, il convient, outre les changements saisonniers, de faire intervenir d’autres facteurs dans la circulation des scombridés : tempête, insécurité, conflits, mais aussi présence de madragues concurrentes sur la « route du thon » pouvant réduire le potentiel des captures. Les recettes sont à l’image de ces fluctuations, les prix des thons variant avec l’abondance de la pêche, la saison de la vente, la taille du poisson et les quantités écoulées, avec rabais consentis pour les gros achats. Néanmoins, faute de pièces suffisantes et sûres, il reste très difficile d’établir un bilan comptable. Toutefois, la diminu- tion des montants des baux de fermage, constatée en Provence au xviii e siècle, et le peu de candidats à leur prise sont autant d’indices qui pointent le moindre rapport que ces pêcheries enregistrent au fil du siècle. Cette pêche participait à l’animation de l’économie littorale par la création ou le développement d’autres activités. Outre la main-d’œuvre pour assurer les

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