Lingua franca | Dakhlia, Jocelyne

Lingua franca 796 concernant est certes majoritairement « barbaresque », c’est-à-dire maghré- bine, mais les observateurs ou locuteurs contemporains généralisent son emploi à tout le pourtour méditerranéen. Qui plus est, les descriptions les plus précises qui nous sont parvenues, celles de François Savary de Brèves, par exemple, ou d’Antoine Galland, ont pour cadre la Méditerranée orientale. Un autre point de débat pourrait être celui du caractère restrictif que lui assignent tant l’histo- riographie de la Méditerranée que la linguistique. Elle est généralement définie comme une langue des marges littorales, des villes côtières ou comptoirs, points de contact circonscrits du pourtour méditerranéen. On y voit donc une langue par essence masculine, langue de la taverne ou du port, mais qui ne pénétrerait jamais les intérieurs domestiques pas plus que les régions intérieures, au-delà des côtes. Or déjà, au tournant du xvi e et du xvii e siècle, Diego de Haëdo soulignait que la lingua franca était aussi connue des femmes et des enfants. L’examen de la documentation confirme une extension de son usage bien plus considérable qu’on ne l’envisage communément, en dehors de toute créolisation, tout sim- plement parce que la présence ou la circulation d’Européens, et le contact avec eux, étaient beaucoup plus denses qu’on ne le concevait historiographiquement, notamment dans un contexte de décolonisation. La colonisation, de fait, instaure et reflète un tout autre rapport aux langues, fondé sur le principe d’un prestige lié à leur pureté. L’éveil des nationalités, plus généralement, bat en brèche, de part et d’autre, tout rapport impur à la langue. Bilatérale, la langue franque cède peu à peu la place au sabir, unilatéral, langue de domination, et elle disparaît comme telle entre la conquête d’Alger en 1830 et le milieu du xix e siècle. Ses locuteurs sont de plus en plus communément décrits comme des subalternes (prostituées, domestiques, portefaix…) et, dans sa composition même, la part de l’arabe augmente sensiblement, ainsi que celle du français, au détriment des autres apports. La publication d’un Dictionnaire de la langue franque ou petit mauresque en 1830 à Marseille reflète et anticipe à la fois cette évolution, avant la disparition effective, et plus encore l’oubli de cette langue qui fut pourtant une réalité d’évidence tout au long de l’époque moderne. Jocelyne Dakhlia ➤➤ Captif, colonisation, conversion, course, croisades, décolonisation, échanges commerciaux, identification, levantin, littoral, métissage, modernité mots-clés Captivité, circulation, colonisation, commerce, langue, métissage

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