Lingua franca | Dakhlia, Jocelyne

Lingua franca 794 de la circulation des hommes et, dans une moindre mesure, des femmes, circu- lation libre ou contrainte. La lingua franca s’institue dans ce cadre comme une langue médiane, aisément compréhensible par tous les acteurs en peu de temps et qui demeure une langue de transaction et de transition. Elle ne devient jamais un créole, une langue mater- nelle. Elle ne s’identifie jamais à l’usage d’un groupe singulier, pas même celui des « renégats » ou convertis européens à l’islam, comme il est parfois affirmé dans l’historiographie. Nul ne la revendique comme sa propre langue. C’est donc toujours la langue d’un rapport à l’autre, et elle dénote cette marque d’altérité dans le moment même où son usage dément tout caractère absolu à celle-ci. Son emploi principal concerne les relations entre Européens et gens d’Islam (musul- mans mais aussi juifs et chrétiens d’Orient), mais elle s’emploie également entre des Européens n’ayant pas d’autre langue commune. C’est donc une réalité très banale de l’époque moderne dont l’usage puis la mémoire se perdent à partir de la seconde moitié du xix e siècle. La composition de la langue franque n’est pas sans soulever un problème cru- cial, non seulement pour la linguistique mais pour l’histoire. En effet, cette langue fonctionnellement médiane, neutre dans ses emplois, puisque y recourent aussi bien les gens d’Islam que les Européens dans les échanges qu’ils entretiennent, n’est pas une langue symétrique. Elle se compose essentiellement d’apports des langues romanes, latines. La part de l’italien y est généralement prépondérante ; elle n’est dépassée par la composante espagnole qu’à l’ouest d’Alger. L’italien domine ainsi d’Alger jusqu’au Levant comme principale composante de la lingua franca . Viennent en second lieu l’espagnol, et le portugais en certains lieux ou périodes, le provençal ou le français…Toute identification de modalités régio- nales de ces langues « nationales » est généralement négligée par les descrip- tions des contemporains. La part de l’arabe ou du turc est très minoritaire. De même pour l’apport de la langue grecque, très faible et qui ne reflète en rien l’importance de la présence grecque dans le monde de la mer en Méditerranée à l’époque moderne. Proche souvent de l’italien, notamment, la lingua franca est souvent assi- milée par les observateurs contemporains à un « italien corrompu ». En réa- lité, et même si la frontière entre ces deux usages est parfois ténue, elle possède un minimum de traits en propre qui interdisent d’y voir une simple pidginisa- tion d’une autre langue ou l’altération d’une matrice, ou encore un phénomène d’alternance codique. Elle est reconnaissable notamment, et identifiable comme telle par ses observateurs de l’époque moderne, en raison du maintien des verbes à l’infinitif, de l’absence d’accord en genre et en nombre, ou de la forme inva- riable des pronoms mi et ti… « Se ti sabir/ti respondir », chante ainsi le mufti au Bourgeois gentilhomme dans la fameuse scène de l’intronisation du Grand

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