Lingua franca | Dakhlia, Jocelyne

Lingua franca 793 L ingua franca La langue franque méditerranéenne ou lingua franca fut historiquement un pid- gin ou mixte de langues en usage en Méditerranée, dont le nom, devenu géné- rique, est passé au sein des langues créoles, à la « famille » des langues franques. Nombre de linguistes rattachent son apparition aux croisades, tant étymologi- quement qu’historiquement. La langue franque se serait ainsi constituée dans le cadre des royaumes latins, « francs », de Terre sainte. S’il est assuré que ces contextes historiques alliant conflictualité extrême et cohabitations plus paci- fiques, voire métissages, ont donné lieu à diverses sortes de mixités linguistiques, tout comme la péninsule Ibérique à l’autre extrémité de la Méditerranée, il est aléatoire de postuler la continuité de ces phénomènes sous les espèces d’une même « langue » du Moyen Âge jusqu’au terme de l’époque moderne. Ce qui est indubitable est qu’au xvi e siècle les textes historiques et littéraires commencent à attester la réalité de ce pidgin en le nommant d’un même nom : lingua franca , « langue franque » ou « langage franc », voire « langage de franc », franco , et plus tardivement « petit franc »… La fixation, quoique fluide, d’un nom de la langue et simultanément l’expansion de son usage coïncident avec l’abandon des projets de croisade au Levant et avec un report sur la guerre de course de l’affrontement idéologique entre Islam et Chrétienté. Le centre de gra- vité de ces affrontements se déplace vers la Méditerranée occidentale, opposant au premier chef les puissances du Maghreb, ou « Barbarie » dans la terminologie de l’époque, à l’Europe latine. La lingua franca s’épanouit par conséquent dans un contexte géopolitique éminemment conflictuel, mais où la multiplication des prises de courses, butin humain des captifs à rançon, butins de marchandises, et razzias côtières, prati- quées de manière absolument réciproque par les Européens et les gens d’Islam, amplifie toutes les formes du commerce et de l’échange, y compris pacifiques. L’imbrication, voire l’osmose des sociétés méditerranéennes européennes et isla- miques s’intensifie paradoxalement dans ce moment, en raison d’une inflation

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=