Levantin | Ilbert, Robert

Levantin 790 (ici un pseudo-médecin mais véritable aventurier et bon herboriste), l’ensemble étant pris en étau entre le gouverneur ottoman, les courriers de Versailles et les envoyés du pape. Les Échelles du Levant d’Amin Maalouf permettent de comprendre comment se fixe une société sur ces terrains meubles. Protégés, les négociants compensent largement les pertes dues aux pirates, aux guerres et aux tempêtes, pour prendre racine sur place, se marier et devenir des « notables »… D’Alger à Beyrouth, les échelles deviennent des refuges où se constituent, sous le couvert des Capitulations, des groupes organisés et représentatifs capables de discuter tant avec le consul qu’avec les autorités locales. Ils sont théoriquement dirigés par le représentant religieux officiel local accom- pagné par un bureau communautaire de type conseil paroissial, l’ensemble for- mant une colonie aux caractères confessionnels et laïques fortement marqués dont témoigne le Périple de Baldassare d’Amin Maalouf (Paris, 2000), censé se dérouler vers 1665. Les Levantins forment donc le noyau permanent des positions européennes en Méditerranée et la trame sociale des échelles. D’abord simples représentants des négociants de Marseille, Gênes ou Venise, ils parviennent souvent à tenir la dragée haute à leurs correspondants parce qu’ils multiplient les représentations en tenant les deux bouts de la chaîne et en essaimant d’un port l’autre. Connaissant les usages et la langue, capables de stratégies matrimoniales, ils ouvrent dès l’aube de la révolution industrielle des bureaux à Liverpool ou Amsterdam et deviennent ainsi les acteurs les plus actifs du commerce international. Ce faisant, ils multiplient les assurances, disposant d’autant d’identités nationales que pos- sible, tout particulièrement avec la constitution des États-nations du xix e siècle. Que peut le consul de France à Alexandrie contre un Rodochanachi, proche du vice-roi, citoyen français et autrichien, et notable éminent de la communauté grecque ? Ou, pire, contre un individu trouble, accusé d’avoir déclenché une rixe, et qui sort de sa poche trois passeports, quelques pièces d’or et un acte de baptême maronite ? Rien, sinon le traquer en accord avec la police locale et l’ap- pui des résidents connus et installés, sans d’ailleurs être jamais certain de le tra- duire devant la bonne juridiction. Les Échelles du Levant sont non seulement des zones franches, mais aussi, parfois, des zones de non-droit. Tous les habitants des échelles, loin de là, ne sont pas des experts dans l’art du camouflage et de l’enrichissement, mais tous doivent leur survie à leur capa- cité d’adaptation, car le statut de « protégé » est à double tranchant. Même à l’abri de l’extraterritorialité conférée par leur inscription au consulat, ils n’en restent pas moins des dhimmis , autrement dit des individus relevant du droit communautaire ottoman et, plus largement, musulman. À ce titre, les interdits sont quotidiens et pèsent de tout leur poids : un chrétien se déplace à pied ou

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