Levantin | Ilbert, Robert

Levantin 789 en Europe que dans l’Empire, tout particulièrement en cas de faillite ou d’es- croquerie. Les affaires troubles se sont ainsi multipliées dans les espaces réser- vés aux Européens par les pouvoirs locaux, source d’innombrables contentieux finalement réglés à la manière ottomane ; le pouvoir de police dans ces espaces spécifiques (caravansérails, ou wakâlât ) était abandonné au consul. Ce dernier devait sans cesse négocier avec le représentant d’Istanbul, entretenant ainsi un système d’échanges de services qui occupait l’essentiel de son temps – d’autant que l’espace réservé pouvait recouvrir celui de la ville dans le cas des villes-ports reconnues comme échelles. C’est ce statut juridique particulier qui explique à la fois la réputation des Levantins et leur importance. Installés sur la durée, ils jouent la montre contre les services consulaires et l’intimidation ou le dédain contre les polices locales. Dans un Empire où un simple document communautaire (tezkere) permet l’identification, la protection des autorités européennes doublées par la papauté vaut le plus souvent extraterritorialité et immunité diplomatique, d’autant que, le réseau des échelles étant particulièrement serré, il suffit d’anticiper d’un jour ou deux une plainte pour devenir introuvable, y compris pour les consulats tri- butaires de la fortune personnelle du consul et ne disposant d’aucun réseau de communication adapté avant la seconde moitié du xix e siècle. Lorsque l’impérialisme européen s’affirma, c’est-à-dire à partir des traités de libre-échange, celui de Londres (1839) frappant de plein fouet le Proche et le Moyen-Orient, la situation tendit à se stabiliser. D’une part, les questions commerciales et financières furent distinguées des problèmes personnels et judi- ciaires ; d’autre part, les pseudo-communautés extraterritoriales furent mises sous tutelle à quelques exceptions près comme celle des Hellènes qui, au fond, conti- nuaient à ne relever de personne, la Grèce ne pouvant alors être assimilée à une puissance (sinon ennemie durant la guerre d’indépendance de 1830) ; d’autant que le patriarcat devait rester jusqu’aux années 1930 l’objet d’une formidable lutte d’influence entre La Porte et la Russie. Ce sont donc les xvii e et xviii e siècles qui furent l’âge d’or des Levantins, per- mettant aux familles les mieux installées de jouer sur tous les possibles en un processus d’adaptation permanent parfois admirable et, dans tous les cas, fasci- nant pour les romanciers comme pour les historiens. Amin Maalouf et Jean-Christophe Rufin ont nourri nombre de leurs romans de cet environnement riche en intrigues et rebondissements. Dans L’Abyssin , Rufin s’appuie sur la source riche que représente la collection des récits de voya- geurs européens en Égypte publiée par l’Institut français d’archéologie orientale – en particulier Prosper Alpin, La Médecine des Égyptiens , 1980 – pour mettre en scène le fonctionnement anarchique du consulat cairote confronté aux ambitions royales et à l’arrivée de nouveaux résidents incontrôlables et souvent douteux

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