Interdits alimentaires | Bromberger, Christian

Interdits alimentaires 723 devrait donc parler de traditions judéo-musulmanes) ; un proverbe répandu dans le monde musulman recommande aux fidèles « de coucher dans le lit des chré- tiens (réputés pour leur propreté) mais de manger la nourriture des juifs » ; les animaux consacrés à des divinités païennes et « ce qui a été consacré à un autre qu’à Allah », les boissons fermentées (sur lesquelles la position du Prophète s’est durcie au fil des années) sont également proscrits en islam. Les interdits alimentaires, explicites, comme chez les juifs et les musulmans, ou tacites, dans la pratique des chrétiens ou des agnostiques, visent à humani- ser la nourriture. Dans toutes les traditions, la viande n’est consommable que si l’animal a été abattu par l’homme (et non par un autre animal). On s’efforce de ne pas manger du trop semblable (biologiquement et socialement) ou du trop différent (des prédateurs violents) (Vialles, 1998). L’évitement du trop sem- blable contribuerait à expliquer la répulsion pour le porc, omnivore comme l’homme, et dont la consommation ferait planer le spectre de l’anthropopha- gie. Ce spectre du cannibalisme aurait été aussi à l’origine, dans l’histoire de la Méditerranée, d’interdits frappant les végétaux. C’est parce qu’elle évoque, par sa forme, la tête d’un enfant ou d’un homme ou encore le sexe féminin que la fève était prohibée chez les pythagoriciens. À la répulsion de consom- mer un proche biologiquement s’ajoute celle de consommer un proche sociale- ment. C’est ainsi sans doute que s’expliquent que la consommation du bœuf de labour ait été conçue comme un crime dans l’Antiquité et la très tardive auto- risation (en 1866 en France) de l’hippophagie, le cheval étant doté d’un statut particulier et privilégié dans le « système domesticatoire occidental » (Digard, 1990). Ce choix de la bonne distance dans ce que l’on consomme expliquerait que les interdits alimentaires se superposeraient souvent aux interdits matri- moniaux (Leach, 1975). Les limites entre le pur et l’impur, si elles sont sans discussion pour des nourri- tures taboues pour tous (le sang, le porc, par exemple, dans le judaïsme et l’islam), sont en revanche sources de controverses, au sein de chaque tradition religieuse, pour des aliments au statut incertain. En islam, le statut (licite – halal – ou illi- cite – haram ) des poissons, des fruits de mer, du gibier... varie ainsi considéra- blement d’une école juridique à l’autre ; chez les chiites, les duodécimains (qui reconnaissent douze imams) condamnent la consommation du lièvre, tandis que les ismaéliens ou septimains (qui ne reconnaissent que sept imams) la tolèrent. Ce différentialisme alimentaire peut être plus volontariste et ostentatoire : les camisards protestants cévenols mangeaient de la viande rouge le vendredi, jour maigre pour les catholiques auxquels ils s’opposaient pour stigmatiser leur ritua- lisme. À l’intérieur d’une même religion, les variations, en matière d’interdits, peuvent porter sur le mode de préparation des denrées. Ainsi, dans le judaïsme (règle de bichoul-nohri ) comme en islam dans plusieurs écoles juridiques, la

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=