Insularité | Bernardie-Tahir, Nathalie

Insularité 715 Si insularité et « méditerranéité » s’infusent mutuellement, l’insularité médi- terranéenne s’est aussi fondamentalement construite à travers la figure de l’alté- rité. Les différentes fonctions que les îles ont occupées dans l’histoire ainsi que la manière dont elles ont été mises en scène dans la littérature (romanesque, poétique, picaresque, etc.), la peinture, le cinéma, mais aussi dans les récits historiques ou relations de voyage, ont largement alimenté l’image de mondes à part, de lieux du dépaysement, de l’inconnu et de l’étrangeté. Cet Ailleurs insulaire cultive d’ailleurs une ambivalence existentielle, celle du bonheur et de l’angoisse, de l’ancrage et du voyage, de l’espoir et du désespoir, du paradis et de l’enfer, de la vie et de la mort. Mais il reste malgré tout dans l’inconscient occidental un envers du monde connu, miroir en négatif renvoyant l’image de tout ce que l’univers continental n’est pas, et que l’on pourrait décrire à travers quatre « i » : isolement, immobilité, imaginaire et idéalité. En Méditerranée comme ailleurs, l’insularité a de fait longtemps rimé avec isolement, solitude, esseulement, effet d’une barrière marine plaçant le continent à distance de l’île. Le thème de la rupture est récurrent dans l’histoire d’un cer- tain nombre d’îles de la Méditerranée qui sont devenues des lieux presque para- digmatiques de l’enfermement ou de la réclusion. L’érémitisme représente une première forme de réclusion insulaire, les moines ou ascètes étant relativement nombreux à prendre le chemin des îles qui symbolisent leur retrait du monde géographique et du monde sensible, devenant dès lors le lieu du sacré (au sens étymologique de la coupure). On peut à cet égard mentionner le cas de ces nom- breuses îles-monastères qui ourlent les côtes méditerranéennes, comme les îles d’Hyères ou de Lérins, l’île Pelagos, l’île San Lazzaro degli Armeni, etc. Lieux de mise en quarantaine, les îles-lazarets ont, elles aussi, participé du retranchement insulaire. Elles furent effectivement nombreuses, à l’entrée des ports ou non loin des villes maritimes, à accueillir voyageurs ou membres d’équipages des navires au moment des grandes épidémies. Si les premiers lazarets insulaires pour les pestiférés furent créés au xvi e siècle dans les ports de Venise ou de Gênes, c’est véritablement au xix e siècle, avec l’apparition de nouvelles maladies contagieuses importées par voie maritime, que les lazarets se multiplièrent, de l’île du Frioul à Marseille aux îles Illyriennes de l’Adriatique (Raguse, aujourd’hui Dubrovnik), ou encore à Malte, formant ainsi un véritable cordon sanitaire protégeant les espaces continentaux contre la propagation de maladies comme la fièvre jaune, la peste ou la lèpre. Un certain nombre d’îles furent également des terres d’exil forcé pour des individus, des familles, voire des communautés entières. C’est précisément parce qu’il fut longtemps très difficile, voire impossible de s’évader des îles, que prisons et bagnes se multiplièrent dans un grand nombre d’entre elles. Longue est la liste de ces îles qui, à diverses périodes de l’histoire médi­ terranéenne, servirent de geôle et incarnèrent cet isolement contraint et terrifiant,

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